Page 201
[...] J'ai un roman à écrire pour récupérer Hélène. [...] Ce sera une histoire d'amour. Les fillettes apprécieront. Au sommaire de ma petite démence : des voiles, pour le mystère, et de la soie, pour le cul. Des miches et des mots doux. Et, au coin d'une phrase, au gré d'une parenthèse, mon poing sur la gueule à son nouveau mec, pourquoi pas ? [...] Ça commencera par une femme que j'aime. Appelons-la Hélène. Appelons-moi Nestor. Et le jour viendra où mon corps, à nouveau dira des choses à ton corps, Hélène, qui répètera tout à mon corps, et ainsi de suite jusqu'au silence des mouches. [...]
Ce que les femmes préfèrent chez moi, c'est me quitter.
J'adore enfiler Hélène, brandiller en elle comme un séisme. Mais ce que je goûte le plus goulûment, plus qu'avec toute autre, ce sont ces festivités préliminaires, tout ce cérémonial préparatoire à nos pirouettes cosmiques. Un véritable bizutage charnel sert chaque fois de préface au livre de nos ébats. La règle en est simple, l'effet garanti : ma salive se doit de précéder ma sève dans sa caverne d'Ali Baba. Sésame ne s'ouvre qu'à cette condition. J'ai le mot de passe au bout de la langue. Seul ce rituel m'autorise à prendre la clef de son champ. Ce n'est qu'ensuite que je peux de ma lampe d'Aladin éclairer la salle humide de ses trésors cachés. J'aime cette façon de faire l'école buissonnière en son jardin secret.
Parfois, des larmes d'urine coulent sur Bagdad. Les joyaux perlent. Tout l'art consiste alors à persister malgré tout, langue en rut, jusqu'à ce que l'excitation soit totale. L'ardeur de mes glandes zénithales la transporte alors au septième ciel sur un tapis volant. Des milliards d'étoiles crachent leurs photons sur nos épaules dégoulinantes. La sueur se mêle au creux de nos reins à des mollards d'éternité. Des glaviots scintillants ruissellent de poil en poil en mon entrefesse hagarde. Sous la magie délirante de ma baguette immémoriale, Hélène-Shéhérazade explose en cris de big bangs fous.
Suspendue à la voûte céleste par la queue de ma comète, elle croque tous les pulsars sur son passage. Et soudain la cascade firmamentale, l'acmé plein d'univers, la giclette à gueule d'infini : Hélène ferme les yeux. Des soleils hébétés suspendent leur masse impensable à ses paupières évanouies. Agrippée au cosmos, elle plonge pour finir dans un sommeil irrémédiable.
La bague de papa fait mal, elle laisse de petites traces rouges sur les joues et sur les fesses, la bague de mariage, le symbole de l'amour qui engendre donne naissance à de petites joues à gifler.
Naître, c'est précipiter les choses.
Hélène, je la rencontrai une première fois sous un préau. J'allais avoir douze ans. Elle jouait à la délivrance. Elle perdait des morceaux de lumière en courant. Elle portait un jean noir et un pull noir : c'était une éclipse.
Le sommeil leur est une vie plus heureuse, quand il ne devrait leur être qu’une mort plate.
Figée, chose figée, et comme je pense soudain que l'on dit giclure d'une chose giclée, je pense aussi figure, de cette pauvre chose figée qui fut un visage. Puisses-u, Hélène, voir aujourd'hui le devenir de ton antique petite frimousse irrésistible ; c'est une figure.
En fait, et toujours, je m'imbibe de cela : le visage de la femme ne cesse d'être une figure.
Je reste encore à me nourrir de la vision de cette face caillée, ridée comme une vieille pomme. SI je massais ses joue d'api, elles m'en resteraient entre les mains. Sa peau est devenue son dernier fond de teint. Galante encore, même dans la mort.
2 décembre.
A partir d'aujourd'hui, ne noter dans ce journal que les fois où je crois qu'il revient. Le reste est si peu important de toute façon.
[...]
C'est un nu en dentelles de Picasso, un bouquet de flèches tordues par la vitesse des couleurs. Barcelone est née sous un pinceau. Le muscle de sa pierre travaille la toile tendue aux cieux des tours et des ogives. Et le soleil y mange la vielle en août, qui croque Hélène, la peint de mille macules étoilées sur le buste et les avant-bras.