Citations sur Carolina Reaper (53)
Exister seule me paraissait infaisable. J’étais dépendante de l’autre, de sa main, son regard approbateur, encourageant, son n’importe quoi qui me concernait moi. J’avalais les démonstrations d’affection comme une carnivore affamée dévorerait une vache vivante. Pourtant autour de moi il n’y avait pas grand-chose à picorer. Mais en solo j’étais immobilisée, pareil que s’il manquait une pièce clef à mon mécanisme. J’ai plus tard saisi que seul un homme pourrait être cette pièce-là. Tout le reste était devenu secondaire, superflu.
La brune me sourit en avançant son bras vers moi, comme dans une routine de vieille pute qui bosse à la demi-heure.
J’ai déjà essayé d’aller jusqu’au bout avec une fille, mais ça ne s’est jamais vraiment trop bien passé. Je préfère de loin me branler. Fantasmer, faire tout bien monter sans que personne ne voie comment je m’y prends. Aucun œil gênant pour tout gâcher. Mais lorsqu’il est questionde réalité, mon bidule se dégonfle.
Ce quartier, c’est une femme. Il n’y a absolument rien en lui de masculin. C’était le préféré de ma mère. Elle m’y amenait tous les jours après l’école pour une balade à Forsyth Park, avec cours d’histoire en cadeau. Une fois qu’on avait fait quelques tours, elle enlevait ses chaussures, s’allongeait sur un banc, et me laissait aller jouer avec les autres gamins. Et j’étais un gamin parmi d’autres gamins. Et elle était une maman parmi d’autres mamans.
Être dépressif ce n’est pas regretter de ne pas avoir le meilleur de ce monde. C’est de ne même pas en avoir envie. Ne pas en vouloir un gramme. Une plaie intérieure qu’aucun billet de loterie gagnant ne pourrait soigner. La blessure reste fraîche au quotidien et s’infecte plus profondément plus va le temps. Blessure qu’aucun mauvais coup n’a pu causer. Elle était déjà là, assoupie dans une chambre éteinte du crâne. Les évènements traumatisants ne font que la réveiller.
Parce qu’être un jeune de son âge, c’est sacrifier son temps. Et quand je dis ça, je l’imagine littéralement, mon temps : poignardé par des inutilités. Parce qu’il en faut du temps, pour faire la fête, se droguer, papillonner… Des milliers d’heures vécues pour rien. De mon côté, je préfère réviser.
Je collectionne les A–, les A, les A+. Avec le physique que j’ai, je pourrais être pom-pom girl, star du lycée, jalousée par toutes les petites grosses acnéiques rêvant d’être moi, courtisée par tous les athlètes populaires que rêvent de se faire toutes les petites grosses acnéiques rêvant d’être moi. Je pourrais me taper le prof de maths ultrasexy, voté « homme le plus baisable de l’année » par toutes les filles de ma classe. Si je le voulais, je serais reine du bal de promo. Sans avoir fait campagne. Si je voulais être quelque chose d’autre, je le serais. Mais ce que je veux, moi, c’est réussir après le lycée.
Le niveau humain serait une ligne droite horizontale, égal pour tous. Les génies en deviendraient sans intérêt. Puisqu’ils seraient la norme… Alors bénissons ces retardés et remercions-les d’exister. Grâce à l’ombre de leur bêtise, on distingue plus clairement la lumière de nos esprits brillants. C’est pitoyable comme excuse, mais c’est ce dont je me convaincs lorsque la vue de l’un de ces « jeunes de ma génération » m’est trop insupportable. Il faut bien trouver quelque chose…
Mon ambition s’est égarée quelque part il y a déjà un bout de temps. Je ne suis jamais partie à sa recherche...
Imposer quelque chose à un ado c’est déclencher l’apocalypse. Les reproches viendront bien assez tôt. Même si je pense qu’Idaho, sans en afficher aucun signe, est aussi extatique que moi de déménager.
Je n’ai jamais eu les poches pleines, mais une injection de rétinol bien placée vaut trois fois plus qu’un caddie rempli. Il faut savoir poser ses pions dans la bonne direction. Investir dans le sans risque. Et le visuel, c’est essentiel ! L’argent revient de toute façon d’une manière ou d’une autre. La preuve.
J’étais pimpante, dans ma robe fourreau fendue jaune orangé. Taille marquée, fesses bombées, front botoxé, lèvres rembourrées, pommettes saillantes. Le pactole, pour un homme qui a encore une bonne vue.