"Dans cette vaste chambre obscure, les fenêtres grandes ouvertes sur la nuit agreste au silence profond, rarement interrompu par quelque cri d'oiseau, notre amour s'embrasait tout de suite et flambait longtemps, muet, clair, vif comme la flamme de ces vieilles lampes à huile qui illuminaient autrefois ces pièces ténébreuses."
Comme je l'ai déjà dit, elle n'était pas cultivée et étant en dehors de la littérature elle ne portait aux livres que l'intérêt des gens ordinaires qui prêtent attention au sujet plus qu'au style.
En effet, une large grimace muette qui paraissait exprimer de la peur, de l'angoisse, de la répugnance et en même temps un attrait dédaigneux crispait parfois le visage de ma femme. Cette grimace faisait, pour ainsi dire, ressortir violemment l'irrégularité naturelle des traits et donnait à sa physionomie l'aspect repoussant d'un masque grotesque dans lequel, par une bouffonnerie particulière, incongrue autant que pénible, les traits auraient été exagérés jusqu'à la caricature : la bouche surtout puis les deux rides qui l'encadraient et les narines et les yeux. Ma femme se peignait abondamment les lèvres avec un rouge écarlate ; en outre, étant pâle, elle se fardait les joues. Quand le visage était calme, ces couleurs artificielles ne se remarquaient pas et s'accordaient avec celles des yeux, des cheveux et de la peau. Mais sous l'effet de la grimace elles paraissaient soudainement crues et voyantes; alors tout le visage si serein, lumineux et classiquement beau un instant auparavant, évoquait les traits grotesques et enflammés des masques de carnaval avec en plus je ne sais quoi d'impudique qui dans de semblables convulsions pourraient tenir de la morbidesse, de la chaleur et de l'excitation de la chair.
-- Mais on ne peut juger quand on aime...
Je pense qu'on aime toujours ce qu'on ne possède pas; elle, toute de trouble instinct, devait forcément vénérer la raison claire, alors que moi, tout raisonnement exsangue, il était juste que je fusse attiré par la richesse de l'instinct.
Les femmes aiment ces hommes déçus qui ont renoncé à toute ambition, sauf à celle de les rendre heureuses.
Dans la lumière égale, claire, brillante, de l'automne, la plaine entière, basse et lumineuse, se dévoilait aussi loin que pouvait aller le regard, de champ en champ, de culture en culture, avec çà et là un arbre qui se détachait sur le fond du ciel serein, illuminé par tous les rayons du soleil.
Je regardai autour de moi la campagne déjà un peu dépouillée et languissante qui s'offrait tout entière dans ses couleurs les plus estompées et ses détails les plus infimes par cette lumière si juste, si différente de l'éblouissement dévorant de l'été.
Un air tiède imprégnait la douce splendeur automnale.
Un grondement lointain comme celui d'un train roulant parmi les cultures courait à travers la campagne endormie et en confirmait l'immensité et le silence.