« Réparer c’est résister et résister encore, le temps qu’il faut... »
Je ne retourne pas dans le souvenir, pas du tout, je suis à l'abri dans le présent, dans mon point de chausson léger léger, je suis tout entier dans le geste répété et précis, protégé par le revers du demi-pantalon, entouré du voile de parfum de la craie. Je suis dans l'atelier de mon père, à l'ombre de la boutique d'Oscar, sous les tréteaux solides du grand-père et plus loin encore, au cœur d'un pays familier, au creux ouaté du tissu, sous la trame serrée des miens, dans le droit-fil, là où passe l'aiguille. Chez nous.
Mais l énergie revient toujours. Elle vient des autres, de tous ceux qui veillent sur le vêtement, les fées silencieuses aux aiguilles magiques et aux doigts piqués, les elfes nettoyeurs, les anges gardiens de la coupe seulement armés de leur minutie et de leurs lourds ciseaux, ce sont eux qui me poussent, leur intelligence discrète, leurs savants calculs, leurs recettes d alchimistes, leurs nuits sur l ouvrage, leurs mains araignées, infatigables et expertes, la couture c est eux d abord, eux surtout, leur courage dans l ombre, leur obstination folle a servir l habit, à le terminer, à l embellir, à le sauver de la benne enfin, combat forcené, sublime, anonyme, invisible et que je vois, moi, depuis longtemps et pour toujours, même les yeux fermés.
Plus personne ne se passionne pour la misère des autres: chacun la sienne, ça suffit amplement.
Il n’y a pas de Merci, pas de S’il vous plait, aucun coussinet calé au coin des phrases, parfois il n’y a même pas vraiment de phrases, juste des mots jetés en vrac à la gueule du type à qui l’on parle. (Page 189)
Tomi mon mari, mon ami, mon protecteur, Tomi mon père, mon amant, mon enfant, notre histoire est une pelote à elle seule, qui serait assez fort pour détricoter ça ?
Le seul problème du bonheur, c’est la peur.
Pour eux (les morts) j'ai accepté ce livre, pour mon frère, pour ma mère, pour tous ceux dont le souvenir aurait pu disparaître avec moi. Bientôt, ils seront bien serrés dans les pages, à l'abri des bibliothèques et pour longtemps.
Arrivés là bas nous n'avions plus de famille, plus de maison, plus de pays, que des souvenirs et c'était la pire chose à garder, les souvenirs.
Il n'y a pas d'autre issue qu'écrire pour éteindre l'incendie.