Citations sur Le renard était déjà le chasseur (16)
Le huitième jour, dit le concierge, Dieu n'a gardé d'Ève et d'Adam qu'une touffe de cheveux. Il en a fait la volaille. Et le neuvième jour, Dieu, face au vide du monde, a fait un rot. Il en a fait la bière.
"En haut dans le ciel, tu seras un ange avec une blessure par balle, dit Adina en regardant par terre, ou bien tu seras ici-bas, où il y a des pavés. Tu chevaucheras ton balai le soir, tu balaieras les rues de Vienne.
Et toi tu restes ici, dit Ilie, tu attends qu'ils découpent complètement ton renard, et après."
Quand elles couraient prendre le tramway, elles avaient déjà la fatigue de l'usine entre le menton et les yeux.
"C'est avec un type comme ça que tu couches, dit Adina. La boîte de sucre est ouverte, le sucre est dur comme de la pierre sur les taches brunes de café. Du vent souffle dans l'arbre dehors, mais tu ne le connais pas, dit Clara, le ballon vert cabossé reste coincé sur la branche fourchue. C'est toi que je ne connais pas, le ballon vert cabossé supportera un deuxième hiver, celle que je connais, ce n'est pas toi, dit-elle, je croyais te connaître"
Un petit Roumain meurt et va en enfer, il y a foule et tout le monde est jusqu'au menton dans la boue brûlante. Le diable attribue au petit Roumain la dernière place libre dans un coin, et le petit Roumain prend la place libre et s'enfonce jusqu'au menton. Au milieu, près du siège du diable, un homme n'a de la boue que jusqu’aux genoux. Alors le petit Roumain tend le cou et reconnaît Ceausescu. Et il demande au diable, mais où est la justice, il a plus de péchés que moi, celui-là. Oui dit le diable, mais Iui, il est debout sur la tête de sa femme.
Un mort que l'on pleure beaucoup dit-il, devient un arbre, et un mort que personne ne pleure devient une pierre. Mais quand quelqu’un meurt quelque part dans le monde, ça ne sert à rien, dit la femme, parce que tout le monde devient une pierre.
Il veut parler du Sud où le Danube coupe le pays. Où la plaine est plate, où les étés se dessèchent comme la pierre entre les maïs qui poussent, où les hivers gèlent comme la pierre entre les maïs oubliés. Où les gens comptent les coussins de duvet qui flottent et savent que le Danube, pour chaque homme abattu en pleine fuite, a pendant trois jours un coussin sur ses vagues, et pendant trois nuits une lueur sous ses vagues, comme celle des bougies. Les gens du Sud connaissent le nombre des morts. Ils ne connaissent pas les noms des morts, ni leurs visages.
Parfois on entend des coups qui viennent de loin, dit Liviu. Pas plus fort qu'une branche qui se casse. Mais autrement, tout à fait autrement. Alors les chiens se taisent avant d'aboyer plus fort. C'est quelqu'un qui a voulu partir dans la nuit, passer la frontière, traverser le Danube à la nage. Seul avec lui-même, dit Liviu, ensuite c'est fini, on le sait.
Comme le souffle de la peur est suspendu dans le parc, on a la tête qui ralentit et on voit sa propre vie dans tout ce que disent et font les autres. On ne sait jamais si ce qu'on pense devient une phrase sonore ou un noeud dans la gorge. Ou rien que le mouvement ailes du nez qui montent et descendent.
Dans le souffle de la peur, on finit par avoir l'oreille fine.
le monde a de la chance qu’il y ait le Danube.