Par endroits, des milliers de cadavres de bisons jonchaient la prairie.
Des carcasses en décomposition, des squelettes entiers ou simplement des crânes cornus, seuls comme de pauvres diables, dans cette immensité dévastée.
Sais-tu que les Indiens des Plaines utilisent le même mot pour dire "lumière" et "transparence"?
Pourquoi ai-je décidé, au lendemain de mon trente-troisième anniversaire, de m’éloigner, pour plusieurs mois, de ma chère Marjorie, de nos deux beaux enfants et du confort sucré de mon studio de photographie de Pittsburg ? Pourquoi ? La routine de mon quotidien de portraitiste est-elle à ce point épuisante ? Non, je ne le crois pas. Contrairement à la peinture, la photographie offre cet avantage incommensurable de ne pas fatiguer la bonne volonté de ses modèles trop longtemps. Et, de surcroît, celle du portraitiste non plus…
Alors mon souffle s'est posé sur tes lèvres. Elles avaient un goût de menthe sauvage, de cèdre et de sauge. A la surface de l'étang, des libellules volaient vers le nord...
Je suis convié en ami et témoin privilégié à des cérémonies d'offrandes au soleil, à des rites de purification et à des chasses au canard en canoë, sur de petits lacs perdus au milieu de ces Grandes Plaines.
"Nous croyons connaître déjà beaucoup trop de choses. L'humble créature qui marche debout sur ses deux pattes arrière ne doit pas tout savoir. Et c'est très bien ainsi."
Mais, comme une très vieille femme me l'a fait remarquer hier au soir, il est bon de laisser un voile sur quelques secrets...
Si l’on met du cœur à l’ouvrage et si l’on fait preuve de sincérité, la séance de pose peut se teinter d’un naturel incroyablement vrai. Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène; les sublimer.
Alors pourquoi ne pas envisager la photographie comme la peinture ?
Je vois une action se dérouler sous mes yeux, elle me touche, alors je la note dans mon carnet… Par la suite, je fais « rejouer » la scène par « mes modèles » comme au théâtre ou comme dans l’atelier d’un peintre, mais en pleine nature.
Peut-être est-il vain de vouloir à tout prix saisir les choses et d’en arrêter, même l’espace d’un instant, le mouvement -– ou même de donner l’illusion de cet arrêt -– parce qu’au bout du compte tout continue sans nous, inévitablement.