« Fillus de anima.
C'est ainsi que l'on appelle les enfants doublement engendrés, de la pauvreté d'une femme et de la stérilité d'une autre. de ce second accouchement était née Maria Listru, fruit tardif de l'âme de Bonaria Urrai. »
A Soreni, petit village de Sardaigne, dans les années 50,
A six ans, Maria est confiée, léguée, débarrassée en échange de deux pommes de terre quotidiennes pour sa miséreuse famille, à Tzia Bonaria Urrai, une vieille femme sans âge, comme on peut l'être aux yeux d'une enfant.
Maria se laisse emmener, confiante, dans la maison de Tzia, où on lui accorde une chambre pour elle seule. Si elle passe la première nuit, le dos contre un mur protégée par un oreiller-bouclier, s'est pour se protéger des statues de saints ornant la pièce, qui souffrent de leurs stigmates et pleurent des larmes de sang. Dès que Tzia s'en aperçoit, elle déménage aussitôt les bondieuseries et offre à la petite une chambre vide de tout cauchemar.
A Soreni, chacun va de son commentaire pour décrire cette nouvelle filiation. Maria est une enfant d'âme, un terme beau qui prend racine dans la spiritualité du corps. Tzia n'a jamais eu d'enfant. Sa vêture est noire d'un deuil qu'elle soutient depuis la mort à la guerre, « d'un mari jamais épousé ». Tzia a des biens, elle est riche, elle a son métier de couturière, elle est indépendante, elle s'est choisi une héritière.
Maria a huit ans, nous sommes en 1955. Un jour, dans le silence de la cuisine, elle a le plaisir de s'entendre appeler « ma fille » par Tzia. Cela génère un sentiment si intense qu'il provoque une douleur. le lien déjà fort, se renforce et Maria reconnaît en cette femme son unique mère.
Les années qui passent, épanouissent Maria en une fillette belle, intelligente, douée pour les études, dotée d'une charmante insolence et plus réfléchie que ses petits camarades, ce qui offense parfois Andria son meilleur ami, conscient de sa maturité. Si elle est raillée par ses soeurs un peu jalouses et craintives, Maria sait conserver son aplomb et parvient « dans sa grande sagesse » à les snober un peu.
Très admirative de sa mère adoptive, Maria aime la suivre partout et la regarder oeuvrer. Dès que Tzia s'absente sans invoquer de raison, laissant une ombre de mystère, Maria s'inquiète et guète son retour avec impatience. La complicité de ces deux êtres est flagrante même si elle reste réservée et peu bavarde.
Un jour, dans une famille, un drame provoque un accident, l'amputation d'une jambe, des douleurs, le refus d'une vie d'estropié, le refus de tout, des prières, des supplications et le décès. C'est Andria, témoin involontaire, qui racontera sur un coup de colère à Maria, l'instant du trépas et le nom de la personne responsable. le défunt est son frère, la personne qui l'a aidé est Tzia Bonaria Urrai.
Le jour de l'enterrement de Nicola, Maria apprend le rôle de Tzia. Elle est l'
accabadora, celle qui laisse partir le mourant et qui aspire son dernier souffle.
Il y a des secrets, des initiations, qui broient l'âme. Ils font fuir et passer la mer. Ils perdent les repères, relèguent l'amour et ne pardonnent pas… jusqu'au retour.
.
.
Ce livre est un coup de coeur.
L'auteure sait raconter comme une conteuse. Elle pourrait être face à nous et nous recommander de fermer les yeux, de laisser nos sens s'évader.
Nous sommes aux débuts des années 50, juste encore meurtries par la guerre. Je vois une île de Méditerranée, une terre chaude, rude, pudique, sauvage et merveilleuse, un petit village assez reculé de la mer car certaines personnes ne l'ont vue qu'une fois. Ca pourrait être ma Corse, mais c'est la Sardaigne. Je me remémore l'histoire que la cousine Angèle aime nous dire et redire… elle avait quinze ans, assez téméraire pour rentrer dans l'eau jusqu'aux genoux et crier de peur d'être avalée… le petit village se nomme Soreni. Il est comme toutes les campagnes avec des âmes pécheresses, naïves, croyantes, superstitieuses, frustres, ignorantes, fières, courageuses, humaines, avec la particularité d'être îliennes. le poids des traditions dirigent les pas. Elles sont le passé et la force, l'hérédité que l'on chérit. Je vois les rides du labeur sur les visages, une peau cartonnée, des robes noires, des cheveux de femmes rassemblés en chignon, des costumes en velours… Il y a des vignes, les vendanges, les fêtes, la préparation de gâteaux qui réunit les femmes pour des amaretti croustillants, le petit verre d'eau de vie… les rires, beaucoup de silence, des haines, de l'amour… les mariages et les décès. Les pleureuses qui passent la nuit dans un coin de la pièce à veiller le mort et l'
accabadora que l'on va chercher quand l'espoir n'est plus permis. D'un regard, d'un signe de tête, elle est la dernière compagne. On peut dire qu'elle gracie le corps et laisse s'envoler l'âme. Ce n'est pas un mythe, elle opère depuis des siècles.
Tzia, est un beau personnage. Elle est celle que l'on respecte, que l'on ne doit pas craindre. Maria est sa continuité, sa fierté. Michela nous les conte…
Je vous recommande leurs histoires, ce voyage.