Un
Guillaume Musso, c'est un peu comme un apéritif léger se déroulant toujours avec le même rituel et duquel on n'attend pas grand-chose d'innovant si ce n'est de nous aider à passer du bon temps. Avec un résumé enjoué, quelque peu décalé et une couverture épurée et pourtant chaleureuse, on n'espère néanmoins quelque chose de «
La Fille de Papier ». Peut-être un rayon de soleil dans notre journée, une sensation d'évasion ou tout simplement un moment de pure détente. Et le pari est remporté ! Car à chaque nouvelle page que l'on tourne on s'enfonce avec délice dans une histoire parfaitement maîtrisée par son auteur, rafraîchissante, pleine de bonne humeur et de répliques cinglantes qui prêtent à sourire. Un bon roman, simple en apparence, et qui recèle pourtant de petites réflexions pertinentes sur la vie.
La force première de ce livre réside premièrement en son histoire attrayante, menée par un fil conducteur peu exploité par la littérature et finalement fort simple : l'apparition impromptue d'un personnage fictif dans l'univers réel de son créateur. Une jeune femme pétillante et déjantée qui nous est sympathique dès sa première apparition et qui vient bouleverser de bien des façons le quotidien désormais sombre de son auteur. Et c'est dans un véritable périple ponctué de nombreux aléas tous plus risibles les uns que les autres que vont s'enfoncer ces deux personnages hauts en couleurs et à la répartie explosive. Tom Boyd, écrivain notoire rongé par la maladie de la page blanche et enfoncé dans une dépression chronique, se retrouve brutalement propulsé dans une aventure inattendue et légère, une sorte de road trip sur les routes infinies des Etats-Unis, filant vers le Mexique avec la compagnie de son héroïne en mal d'affection. L'un cherche à récupérer un amour voué à l'échec tandis que l'autre concentre ses efforts pour retourner dans son univers imaginaire composé d'encre et de papier. Un beau duo, quoique singulier et détonnant, uni par un lien particulier. Dès la rencontre de ces deux âmes perdues, on s'attend à une histoire d'amour tout en sachant que celle-ci serait parfaitement improbable, promise à de trop nombreux obstacles insurmontables (et la pensée d'une union entre un homme fait de chair et d'une femme d'encre, sa propre création, aurait quelque chose d'assez déplacé et gênant). On suppute néanmoins dès le lancement de l'histoire que ces deux êtres condamnés, pour le meilleur et le pire, à une longue suite de péripéties finiront par s'épauler mutuellement, se comprendre voire même à s'apprécier. Si l'on parvient donc à prévoir la fin de l'histoire, celle-ci se brode sur une trame plus complexe qui tisse un suspens qui s'allonge au fil des rebondissements. Et voilà la seconde force de l'ouvrage : avoir su rythmer continuellement l'histoire par une série d'événements inattendus qui maintient le suspens à son comble jusqu'au dénouement final.
Définitivement plus loufoque que les autres romans du répertoire Musso, «
La Fille de Papier » est un Road Movie écrit, une sorte de Road Book, où l'humour se dispute la place à la cocasserie et l'émotion. On sourit souvent face aux situations incongrues et l'on s'émeut des troubles qui agitent nos héros lorsque leurs démons intérieurs refont surface. L'alternance des points de vue entre les personnages, interne pour les chapitres consacrés à Tom et externe pour les autres, permet d'insuffler du dynamisme à l'histoire et de captiver le lecteur tout en lui faisant comprendre avec plus de réalisme les émotions de chaque personnage. Une belle immersion dans une histoire rocambolesque qui semble fictive en apparence et qui dissimule beaucoup de vérités sur la vie quotidienne.
Mais si l'histoire démarre sur les chapeaux de roue et est marquante de réalisme, proposant une belle palette d'humour et d'émotion, on se retrouve néanmoins avec le canevas classique des Musso : l'histoire étroitement entremêlée de plusieurs personnages, avec une belle relation d'amitié résistant à tous les âges, une histoire d'amour en devenir qui reste encore un point d'interrogation peint à l'aide de répliques acerbes, un mystère qui semble lourd de complications et des destins étrangers qui se retrouvent liés d'une manière fort complexe. Pas ou peu d'innovations donc pour ce roman qui reste néanmoins un régal à la lecture. Mais si la première partie de l'ouvrage est digne d'une comique fiction hollywoodienne (où Naomi Watts prêterait ses traits à Billie), la seconde partie s'éloigne brutalement des personnages principaux pour ne les traiter qu'avec un recul trop marquant. Dès lors que Billie se retrouve piégée dans les méandres d'un cancer dévorant, l'histoire perd de son charme et s'obscurcie brutalement. Sa relation avec Tom est bien moins détaillée et même si l'on assiste à l'inévitable, en tant que lecteur, on est déçu de ne pas avoir plus de renseignements sur l'évolution des sentiments entre l'auteur et son personnage. En réalité, si la première partie se concentrait sur nos deux héros, la seconde s'épanche bien plus sur le périple du dernier livre édité par Tom, le seul exemplaire encore intact et détenant la vie de Billie entre ses pages. Celui-ci va alors suivre une incroyable aventure à travers le monde entier, poursuivant un voyage déroutant sous la menace continue de sa perte. A l'image d'un thriller, le suspens est subtilement dosé et travaillé par
Guillaume Musso qui, pareil à un confiseur, étire sa matière jusqu'à l'extrême avant de la relâcher dans un incessant pétrissage. Mais un confiseur travaillant sur une mer houleuse, hissant tantôt le navire au-dessus des flots avant de le faire sombrer. Car « La Filler de Papier » est à l'image de ce navire : tantôt un roman magistralement exécuté et tantôt un ouvrage qui s'enfonce dans la déception, noyé dans une situation désarmante avant de finalement en réchapper avec gloire. La fin de la seconde partie est ainsi contrariante : alors que l'histoire prenait une tournure digne d'un conte de fée, la chute est brutale et rappelle alors au lecteur que ce n'est pas un roman de science-fiction mais bien un ouvrage concret. Ainsi, cette jeune fille sortie d'une phrase inachevée et pour laquelle on s'était pris d'affection n'est peut-être pas celle que l'on croit. Une fin qui laisse malgré tout un arrière-goût en bouche, un goût d'amertume et de désillusion…mais c'est sans compter sur l'habileté de Musso qui rétablit de justesse la balance, proposant un revirement de situation, certes terre-à-terre, mais qui laisse au final le souvenirs d'une belle romance.
Si la première partie est donc un amalgame de situations rocambolesques, saupoudrées du nécessaire d'émotions et toujours en perpétuelle action, flirtant avec le fantastique, la seconde partie permet de mieux réfléchir sur la condition de l'auteur, avec une très belle mise en abyme.
Guillaume Musso et Tom Boyd se fondent l'un dans l'autre dans une incroyable histoire qui révèle le talent de narrateur de Musso, lequel tisse avec habileté une histoire détonante, à la manière d'un chef d'orchestre. Si l'on entame «
La Fille de Papier » en espérant seulement se détendre dans une lecture légère, on se retrouve finalement avec le souvenir d'un ouvrage bien ficelé, proposant une réflexion sur l'imaginaire débordant de l'auteur et sa peur de la page blanche, et brodant une histoire d'amour incroyable.