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Citations sur La Défense Loujine (24)

Avec une vague admiration et une vague terreur, il examinait la façon effrayante, souple et raffinée, dont s'étaient enchaînées, depuis quelque temps, un coup suivant l'autre, les images de son enfance (la maison de campagne, et la ville, et l'école, et sa tante de Pétersbourg), mais il ne comprenait pas encore ce que cette répétition avait de terrifiant pour son âme. Il ne ressentait que nettement qu'un certain dépit d'avoir été si lent à saisir l'astucieuse coordination des coups ; et maintenant, évoquant tel ou tel détail (ils étaient nombreux et, parfois, si ingénieusement introduits que la répétition en était presque cachée), Loujine s'en voulait de n'avoir rien remarqué à temps, d'avoir laissé l'initiative à l'adversaire, permettant ainsi, dans son aveuglement candide, à la combinaison de se développer. Il décida d'être plus circonspect à l'avenir, de suivre attentivement la suite des coups, s'il devait s'en produire d'autres, et aussi, cela allait de soi, d'entourer sa découverte d'un secret impénétrable et de se montrer gai, extrêmement gai. Mais, à dater de ce jour, il n'eut plus de repos : sans doute aurait-il dû inventer une défense contre cette combinaison perfide, pour s'en délivrer ; mais il n'était pas encore possible d'en deviner le but ni la direction fatale. Et, saisi de peur, à l'idée que les répétitions allaient probablement se poursuivre, - Loujine eut envie d'arrêter l'horloge de la vie, d'interrompre d'une manière générale le jeu, de rester immobile, et en plus, il constatait qu'il continuait d'exister et que quelque chose se préparait, rampait, se développait, et qu'il n'avait pas le pouvoir d'arrêter ce mouvement.
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Lorsque ce même élève sage essayait de se rappeler Louijine à l'école, il ne pouvait se le représenter que de dos : tantôt assis devant lui avec ses oreilles écartées, tantôt fuyant le bruit et réfugié au fond de la classe, tantôt rentrant en fiacre à la maison - et toujours Loujine avait les mains dans les poches et un grand cartable pie au dos, et toujours la neige tombait à gros flocons...Le garçon sage essayait en quelque sorte de le dépasser pour le voir en face, mais la neige particulière de l'oubli, cette neige foisonnante et muette, recouvrait entièrement ses souvenirs de son voile blanc et épais. Et l'ancien élève sage disait en découvrant le portrait de Loujine dans un journal : "Figurez-vous que je ne me rappelle pas du tout quelle tête il avait, vraiment pas..
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C'est seulement en avril, pendant les vacances de Pâques, que sonna pour Loujine l'heure inéluctable, où l'univers autour de lui s'éteignit brusquement, comme si l'on eût tourné le commutateur, et où, au milieu des ténèbres, il ne resta de brillamment éclairé qu'une merveille toute neuve, un îlot lumineux, sur lequel devait se concentrer désormais toute son existence. Ce bonheur, auquel il s'accrocha alors, s'immobilisa ; cette journée d'avril se figea à jamais, tandis qu'ailleurs, sur un autre plan, se poursuivait la fuite des jours -- printemps à la ville, été à la campagne --, troubles torrents qui l'effleuraient à peine. (p.45)
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Le cachet ne produisit aucun effet. Loujine demeura éveillé longtemps encore après que sa femme se fut endormie. A vrai dire, ces heures nocturnes, ces heures d'insomnie dans la chambre close et obscure étaient les seules où il pût réfléchir tranquillement, sans craindre qu'un nouveau coup de la monstrueuse combinaison ne lui échappât. La nuit, surtout si on reste immobile et les yeux fermés, rien ne peut arriver. Loujine vérifiait soigneusement, et avec tout le sang-froid dont il était capable, les coups déjà joués contre lui : mais dès qu'il se mettait à faire des conjectures sur la façon dont se répéterait ultérieurement le schéma du passé, il était saisi de trouble et d'effroi comme si quelque malheur inimaginable et fatal approchait avec une inexorable rigueur. Il eut, cette nuit-là, le sentiment particulièrement aigu de son impuissance devant cette attaque subtile et lente, et eut envie de ne pas dormir du tout, de prolonger le plus longtemps possible cette nuit avec sa paisible obscurité et d'arrêter le temps à la mi-nuit.
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Loujine, dans l’auto, s’endormit tout de suite ; des reflets de rencontre, s’ouvrant en éventail, animaient son visage d’une lumière blafarde, l’ombre molle du nez glissait lentement et contournait la joue, puis la lèvre, et à nouveau l’obscurité envahissait l’intérieur de la voiture, jusqu’à l’approche d’une nouvelle lumière qui caressait en passant la main de Loujine.
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Et c’était étrange. Plus les audaces de son imagination étaient grandes, plus le travail secret de son esprit entre les tournois était lucide, et plus la sensation de son impuissance, dès que s’ouvrait la compétition, était aiguë, plus son jeu était prudent, voire timoré.
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Dans les premiers instants, il éprouva la joie aigüe du joueur d’échecs, un sentiment d’orgueil et de soulagement et cette sensation physiologique d’harmonie que connaissent si bien les créateurs.
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Mais ce ne fut pas la soif des voyages lointains qui lui fit suivre les traces de Philéas Fogg, ni le penchant des enfants pour les aventures mystérieuses qui le guida vers la maison de Baker Street, où, après s’être fait une piqûre de cocaïne, un détective aux longues jambes et au profil aquilin jouait rêveusement du violon. Beaucoup plus tard seulement, il s’expliqua pourquoi ces deux livres l’avaient tellement ému : parce que leur dessin se déroulait d’une manière régulière et implacable ; on y voyait Philéas, mannequin en chapeau de forme, accomplissant son voyage élégant et compliqué, faisant des sacrifices justifiés, tantôt monté sur un éléphant qui lui avait coûté un million, tantôt à bord d’un bateau dont il fallait brûler la moitié pour faire marcher les machines ; et Sherlock, qui prêtait à la logique le charme d’un rêve, Sherlock rédigeant une monographie sur la cendre de toute sorte de cigares et s’acheminant au moyen de ces cendres, comme avec un talisman, à travers le labyrinthe cristallin de toutes les déductions possibles, vers la seule déduction rayonnante.
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Loujine était réellement très las. Ces derniers temps il avait beaucoup joué, de manière irrégulière, et, en particulier, le jeu à l’aveugle, performance assez bien payée et qu’il pratiquait volontiers, l’avait fatigué. Il y goûtait une jouissance profonde : on n’avait pas à faire à des pièces visibles, audibles, palpables, dont la ciselure précieuse et la matérialité le gênaient toujours et qui lui semblaient être la grossière enveloppe terrestre de forces invisibles et merveilleuses. C’est quand il jouait à l’aveugle qu’il ressentait ces forces diverses dans leur pureté originelle.
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Il se mit, la nuit, à se demander pourquoi cette rencontre avait été si effrayante. Bien sûr, elle était, par certains côtés, désagréable : à l'école, jadis, ce Pétrichtchev l'avait fait souffrir, il lui avait indirectement rappelé un certain livre mis en pièces ; de plus, il s'avérait que tout un monde, plein de séductions exotiques, n'était qu'une duperie inventée par un fat, et, désormais, l'on ne pourrait plus se fier aux prospectus. Mais ce n'était pas tant la rencontre en elle-même qui était effrayante que la signification secrète de cette rencontre, une signification qu'il lui fallait deviner. Toutes les nuits, Loujine y pensait intensément - comme jadis Sherlock avait médité sur les cendres d'un cigare - et, peu à peu, il se persuada que la combinaison était encore plus compliquée qu'il ne l'avait cru tout d'abord, que la rencontre de Pétrichtchev représentait la suite de quelque autre chose et qu'il fallait creuser davantage, revenir en arrière, rejouer tous les coups de sa vie, depuis la maladie jusqu'à ce bal.
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