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« La Défense Loujine » (en russe, Защита Лужина) est un roman de l'écrivain russe Vladimir Nabokov. Dédié à Véra, sa femme, écrit pendant l'année 1929 sous le nom de plume de V. Sirine, cet ouvrage est présenté par Nabokov comme « l'histoire d'un joueur d'échecs écrasé par son propre génie ».

L'histoire ? Loujine, jeune enfant russe scolarisé en Allemagne, pays où sa famille a fui après la Révolution russe de 1917, découvre fortuitement les règles du jeu d'échecs. Il s'avère très doué pour ce jeu. Devenu adulte, Loujine remporte de nombreux tournois d'échecs. Il en fait son métier. Puis Loujine se laisse envahir par ce qui devient une passion et une obsession pathologique pour ce jeu : il n'existe plus qu'au travers des pièces qu'il déplace sur l'échiquier, transposant les événements quotidiens en termes échiquéens. Lors d'un séjour dans une station thermale, où il dispute un tournoi, Loujine rencontre Natalia Katkov. Il la demande en mariage. Fascinée par Loujine, elle hésite, puis accepte cette demande. Sa famille est réticente : pour elle, Loujine est un excentrique. Plus tard, Loujine doit affronter l'italien Turati, un maître d'échecs, et le tournoi est organisé par Léo Valentinov, précepteur et manager de Loujine. Celui-ci se prépare du mieux qu'il peut, tentant de créer une défense imparable (la défense Loujine, d'où le titre du livre), mais, le jour J, Turati fait une ouverture de jeu tout à fait inattendue, déstabilisant Loujine au point qu'il doit quitter la partie, incrédule, les yeux hagards. Complètement désorienté, nauséeux, « la tête couleur de cire », halluciné et (page 154) « aspiré par le jeu », Loujine est pris en mains par son épouse : dorénavant, il ne jouera plus aux échecs. Ainsi, la vie de Loujine s'écoule, monotone et sans but. Certes, il lit des livres auxquels son épouse l'abonne, percevant (page 185) « une ombre des sons qu'il entendait jadis », … jusqu'au jour où un événement fait remonter Loujine à la surface, le précipitant alors vers une fin délirante !

« La Défense Loujine » décrit bien le mécanisme de l'addiction au jeu. Inadapté, asocial -pour ne pas dire autiste-, « phénomène étrange, un peu monstrueux mais séduisant », désemparé devant une vie qu'il ne contrôle plus (puisque, jouant en aveugle, il ne trouve pas la parade aux coups que lui adresse un adversaire invisible), déshumanisé (on ne découvre le prénom de Loujine qu'à la fin du roman), quasi-dément, Loujine fait de sa propre vie une partie d'échecs interminable, se défendant contre ce monde extérieur qui en veut à son bonheur et qui le veut échec et mat ! Un style brillant, des personnages bien tranchés (voyez le portrait que Loujine fait de sa gouvernante française ou de sa tante -laquelle lui apprend les règles du jeu d'échecs- ou des trois gars complètement saouls qui fêtent leur cinquième année de sortie d'école ou du tailleur qui lui confectionne un costume), des détails pittoresques (la campagne russe avec ses bouleaux, la maison familiale avec son vieux grenier, la tyrannie exercée par certains écoliers à l'encontre de Loujine, la montée du progrès technique), de subtiles analyses psychologiques (Loujine, tantôt euphorique, tantôt morbide), un brin d'ironie (quand Nabokov dépeint - lui qui est issu d'une famille aristocratique russe- « la bruyante et inutile cohue des réceptions mondaines » données par les immigrés russes à Berlin), un suspense qui vous tient en haleine jusqu'à la dernière page : l'ouvrage ne manque pas d'intérêt. Roman autobiographique ? Les similitudes abondent entre Nabokov et Loujine : goût des chiffres, solide éducation classique, enfance heureuse et féconde, capacité à s'exprimer en trois langues (russe, anglais et français), passion pour les parties d'échecs (page 87 – « les échecs sont le but de sa vie » ; page 102 – « il ressent des forces invisibles et merveilleuses, dans leur pureté originelle ») …

Ce roman fut l'occasion pour Nabokov de prendre « un grand plaisir pour introduire un schéma fatal dans la vie de Loujine ». Un plaisir ? Probablement, car, aux échecs, vous combattez aux côtés de votre propre mère (la Reine), que vous défendez et qui vous materne, et vous avez le droit de mettre à mort votre adversaire, qui n'est autre que votre propre père (le Roi adverse), et ça n'est pas banal car dans la vie de tous les jours, ce geste est criminel. Nabokov avait, comme Loujine, un père dont il s'émancipa difficilement, un père qui était « à l'affut d'un miracle, la défaite de son fils ». En écrivant « La Défense Loujine », Nabokov règle ses comptes avec son passé (au chapitre 5, le père de Loujine attrape froid et meurt) : « il faut à mon avis écrire pour plaire à un seul lecteur : soi-même ». C'est gagné, et c'est pour notre plaisir !
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« Loujine avait maintenant recouvré toute sa lucidité et sa pensée, débarrassée de tout élément impur, s'organisait rigoureusement ; les échecs couvraient pour lui le champ du réel, tout le reste n'était que rêve – un rêve délicieux où flottait, immatérielle et évanescente comme une nuée d'or traversée de lune, l'image d'une charmante jeune fille au regard clair et aux bras nus. »

Voilà des personnages que je ne vais pas oublier. Je n'avais jamais rencontré un homme comme Loujine, ni une femme comme Mme Loujine. J'admire le talent de Vladimir Nabokov. Découvert avec Feu pâle, je ne m'attendais pas à une histoire aussi dure et sensible. Un livre qui parle plus d'un petit garçon qui n'a que les échecs, que des échecs.

« il prit conscience des abîmes affreux où le plongeaient les échecs, jeta, malgré lui, un nouveau regard sur l'échiquier – et sa pensée s'alourdit sous le poids d'une fatigue qu'elle ne connaissait pas. » 

Dire que Loujine a eu des réussites dans sa vie ? Non ou très peu car il cherchait une défense, la défense Loujine pour survivre. Une vie qu'il transpose comme sur un jeu d'échecs, avec les signes annonciateurs d'un mat par des coups venus du passé. La construction du roman est terriblement intelligente et la plume me plait car elle fait ressortir les caractère de Loujine tant par ses pensées, ses mots (rares) et sa physionomie. Un très beau roman.

« Depuis que ce monde, où tant de choses n'étaient pas intelligibles, s'étaient évanoui comme un mirage et qu'il n'avait plus à en tenir compte, les rayons de sa conscience, jusqu'alors éparpillés sans force, avaient, en se concentrant, retrouvé toute leur acuité. Comme cette vie réelle, celle des échecs, était belle, claire et fertile en aventures ! »
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Voilà enfin mon premier grand roman de la littérature russe … Euh, non, ce n'est pas tout à fait vrai puisqu'il y a une dizaine d'années j'avais lu « Crime et châtiment » que je n'avais pas trop apprécié. Je retrouve d'ailleurs ici la même atmosphère lourde, le même pessimisme.

Bon le contexte historique n'est pas folichon, c'est vrai. L'action se situe du début du XXème siècle jusqu'aux années 30, auprès de Russes en exil à Berlin, après les révolutions soviétiques. Même si Nabokov ne parle pas des nazis, des autres nationalismes européens et de la crise que l'Allemagne traverse à ce moment-là, on peut suspecter que ces circonstances extérieures aient imprégnées l'écriture de l'auteur.

L'histoire est celle d'un génie des échecs – célèbre à ses heures - dont on ne saura pas grand-chose. L'homme est complétement obnubilé par le jeu, au point de voir dans les dalles des salles de bain un immense échiquier, et de concevoir sa vie comme une partie d'échecs. On ne sait pas rien de ce qu'il aime, de ce qu'il pense, ni des raisons qui le poussent à demander une jeune fille en mariage … On peut exclure l'attirance physique (elle n'est même pas jolie), des raisons financières (Loujine est à mille lieux des considérations matérielles). Est-ce la peur de la solitude ? le besoin d'avoir une présence maternante à ses côtés ? le choix inconscient de s'entourer d'un garde-fou contre les démons du jeu ? Garde-fou impuissant et qui ne peut empêcher la fin tragique de Loujine, dans une sorte de fatalité morbide, où la mort est la seule échappatoire possible. Loujine, dont on apprendra à la toute fin qu'il se prénomme Alexandre Ivanovitch. Comme si l'individu derrière le génie avait été complétement nié …

Le texte est très condensé, pas aéré et du coup ça renforce encore l'impression asphyxiante qui se dégage de cette histoire. Comme je suis assez perméable aux ambiances cette lecture n'a pas été une partie de plaisir, loin de là. Mais promis je mordrai sur ma chique et je continuerai à découvrir les auteurs russes, vaille que vaille …
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Enfant, Loujine est harcelé par les autres élèves. Ses résultats sont moyens voire médiocres, peut-être parce qu'il ne souhaite pas se distinguer des autres avec une image d'intellectuel qui leur donnerait de nouveaux prétextes de moqueries.
Sa famille est aimante, mais désunie.

Pour ce garçon, la découverte des échecs est un extraordinaire moyen d'évasion.
Ce jeu occupe alors une place croissante dans sa vie. Il y pense jour et nuit, et en fait un métier.
Son obsession pour le monde virtuel des échecs l'amène peu à peu à le confondre avec la réalité. Nabokov montre l'addiction, le surmenage intellectuel, et une dérive vers une folie faite d'un subtil mélange de dépression, de paranoïa, et de schizophrénie.

La manière dont Nabokov dissèque les pensées et ressentis de son personnage central évoque l'écriture de Dostoïevski.
Nabokov cite d'ailleurs cet auteur en précisant que la lecture de ses écrits n'aiderait pas Loujine. Par sa thématique, ce roman publié en 1930 fait penser au récit 'Le joueur d'échec', écrit au Brésil entre 1938 et 1941 par Stefan Zweig (1881-1942), publié à titre posthume en 1943. Une comparaison avec le dernier livre de Zweig fait inévitablement de l'ombre à celui de Nabokov, moins concis et donc moins efficace et moins percutant, malgré la chute.

Que vous appréciiez ou non les échecs, je vous recommande d'abord la lecture du livre de Zweig, puis celle de 'La défense Louj!ne'.

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PS : comme Ziliz, je remplace parfois les 'i' par des '!' pour éviter les liens intempestifs ; chers Ours, quand corrigez-vous ce bug signalé depuis des années (pouvoir désactiver des liens, surtout quand ils sont erronés)
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J'ai lu de très beaux commentaires sur ce texte magnifique et je voudrais juste faire une remarque, malgré l'avertissement de Nabokov dans sa préface sur les interprétations freudiennes qui renverraient le lecteur à "papa" et "maman" (quel humour...) à propos de ce mot de "Défense".

Les mécanismes de défense psychique tels qu'ils ont été mis au jour sont nombreux. Et quand bien même Freud serait passé de mode, l'utilisation de ces mécanismes perdure.

Ces défenses que chacun se construit dans son jeune âge pour lutter contre divers aspects de son existence sont paradoxales : elles nous font ensuite rechercher une situation identique où les-dites défenses pourront s'exercer. Encore et toujours.

Quand il est la proie d'un trouble névrotique, le sujet est conscient et peut en parler. Il a une notion exacte de la réalité. A tout prendre on pourrait croire que les défenses du patient fonctionnent. Sauf que la névrose peut être plus handicapante que la psychose, plus douloureuse.

Loujine, enfant renfermé et malheureux, trouve son bonheur dans les échecs. Il se met à souffrir peu à peu de ce qu'on appelle de nos jours un trouble obsessionnel compulsif, donc névrotique, mais ses défenses n'agissent plus. Il va s'enfoncer inexorablement, et cherchant LA défense comme on chercherait la muraille de Chine, il perd les siennes une à une.

J'ai bien conscience que cette comparaison entre le Jeu d'échecs et la vie, avec ses attaques et ses défenses, est fallacieuse. C'est surtout limiter un récit d'une immense richesse et dont la souffrance qu'il décrit va crescendo dans un style éblouissant. Mais je ne peux m'empêcher d'y penser sans y voir quoi que ce soit de réducteur.

Car, Nabokov l'a dit lui-même, de tous ses livres russes La Défense Loujine est celui qui exprime le plus de chaleur. C'est en effet de la pitié qu'on ressent pour Loujine, et je serais presque encline à dire qu'elle nous renvoie à celle que l'on peut éprouver pour soi-même et pour autrui dans des situations dramatiques. La pitié que l'on peut ressentir pour Edmund Kemper qui servit à Marc Dugain pour son roman "L'Avenue des Géants". Ou tant d'autres protagonistes de la grande confrérie humaine.


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La lecture de Nabokov nécessite une grande concentration, tant ses phrases s'allongent et s'amplifient à coup d'incises et d'avalanches de détails, dont la plupart - merveilleux exploit - ne s'avèrent pas superflus et participent de l'atmosphère capiteuse du roman : cette obsession du détail peut refléter l'obsession du joueur d'échecs examinant toutes les combinaisons possibles sur son plateau, afin de mieux s'enfoncer dans une pensée abstraite également retranscrite par le goût de Nabokov pour les envolées lyriques à l'improviste.

Il y aurait sans doute beaucoup plus à dire sur l'impeccable construction et la cohérence stylistique de « La défense Loujine », qui suit certains mouvements et motifs que l'on retrouve sur le plateau d'échecs. Mais encore aurait-il fallu que j'en connaisse assez sur ce jeu. Heureusement, ce dernier point n'est pas un frein à la lecture et à l'interprétation, car le roman escamote l'aspect le plus technique du jeu, pour se focaliser sur la psychologie du héros, et son rapport au réel.

De fait, la défense Loujine décrit la façon dont une passion dévorante recompose la réalité, en saturant la conscience. Nabokov dépeint les raisons qui, depuis l'enfance, conduisent Loujine à se "défendre", en s'enfermant dans le monde des échecs, où il devient inapte à une autre forme d'existence. Tout découle des difficultés initiales de l'enfant Loujine à saisir la nature des rapports sociaux, même avec ses parents. La vision du monde offerte par les échecs le fascine, car elle s'avère bien plus facile à appréhender pour sa psyché particulière. Loujine circonscrit et apprivoise dans ces carrés blancs et noirs un fragment de l'infinité effrayante du réel. Il trace des lignes, s'enferme dans des cases protectrices qui lui évitent de se confronter aux autres complexités de la vie humaine… du moins jusqu'à un certain point.

Car ne connaissant pas d'autre logique, d'autre rapport au réel, Loujine finit par pousser sa passion trop loin, au-delà de 64 cases. Les lignes se prolongent, se distordent, débordent dans la vie, et la folie n'est pas loin. « La verticale était infinie, comme toute ligne, et l'oblique l'était également » : cette propriété géométrique qui fascine Loujine finit par se retrouver dans ses rêves, où des glaces démultiplient son reflet devant le plateau de jeu en des lignes infinies qui effacent peu à peu son existence. le problème d'échec devient sans solution : continuer, c'est se consumer dans la flamme de sa passion. Mais s'arrêter c'est mourir à petit feu, car l'esprit de Loujine ne connaît pas d'autre façon de fonctionner. Dans les deux cas, nous avons affaire à une vie vouée à l'échec.

Les descriptions maniaco-minutieuses de Nabokov se mettent alors à dessiner un enfer comparable au panneau de droite du jardin des délices de Bosh, qui est décrit dans le texte sans être nommé.

Face aux autres et à leur pitié mal placée, la folie obsessionnelle de Loujine lui permet d'échapper à une vie se jouant sans lui (car son identité demeure celle d'un joueur d'échec). Mais bien entendu, une fois les limites du plateau flouées, le joueur n'a plus le contrôle de la partie. Ses rêves jouent aux échecs avec lui, et le sacrifient quand bon leur semble.
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La passion des échecs, dévoratrice du monde.

Je me souviens d'un hiver normand il y a près de trente-cinq ans, et de ce livre de Vladimir Nabokov découvert par hasard dans la bibliothèque familiale, mon premier Nabokov.

Je me souviens que Vladimir Nabokov écrivit et publiât ce roman sous un nom de plume entre les deux-guerres (en 1930) en langue russe, et qu'il fallut ensuite attendre aussi près de trente-cinq ans pour que ce roman soit enfin traduit en français.

La suite sur mon blog, dans la rubrique "Je me souviens", ici :
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Triste destin que celui de ce pauvre Loujine, enfant solitaire, mutique, fuyant, incompris par ses parents et souffre-douleur de ses camarades. Autiste aussi, très surement. Jusqu'au jour où il découvre tout à fait par hasard le jeu d'échecs dans lequel il s'immerge pour se réfugier dans l'abstraction la plus pure, échapper à la vie et au contact humain qu'il abhorre.

Très vite, son talent éclate au grand jour. Roi des combinaisons les plus folles, il bat tous les adversaires qu'on lui présente, devient un enfant prodige, quitte le lycée et, cornaqué par un individu inclassable (Valentinov), il est promené de capitale en capitale, admiré comme une bête de foire, et sa célébrité dépasse bientôt les frontières. Il excelle en particulier pour les parties en aveugle où il fait des merveilles, battant avec facilité plusieurs adversaires en même temps. Puis il grandit, devient Grand Maître International et finalement l'un des prétendants à la couronne de champion du monde.

C'est à ce moment que son univers se fissure peu à peu. Car les échecs en compétition, c'est un adversaire face à soi, la lutte la plus âpre, la défaite ou la victoire, et celui qui perd ressent sa mort. Loujine qui dans les échecs avait trouvé un moyen de fuir les contacts humains se trouve de fait plongé au coeur de la relation avec l'autre, cet adversaire qui le combat sans pitié. Terminées les parties en aveugle où on ne voit même pas ses adversaires. Désormais, la personnalité de l'autre est présente. Elle est écrasante, insupportable, suffocante et on ne peut lui échapper.

Terrifié par cette lutte qui l'épuise, son jeu évolue. Il devient défensif à l'extrême. Finies les attaques grandioses, les combinaisons exceptionnelles, Loujine devient bientôt célèbre pour sa capacité à défendre, à déjouer les attaques et profiter des fautes adverses. Mais tout devient de plus en dur, jusqu'au jour où il craque, détruit par les enjeux de ce qui n'est finalement pas un jeu.

Je ne vais pas révéler son cheminement ultérieur. Mais sa manière de vivre procède ensuite comme aux échecs par sa défense (ses défenses) pour éviter de tomber, encerclé de toute part par une vie extérieure pour laquelle il est totalement inadapté et qui le panique. Trajectoire tragique que personne ne pourra dévier, même pas sa fiancée qui le materne comme un bébé.

Métaphore sublime sur l'être inadapté, La défense Loujine est un livre puissant qui ne peut laisser indifférent. Peut-être le meilleur Nabokov (jugement très personnel, j'en conviens). Ce roman pourtant n'est pas exempt de reproches. La personnalité du personnage de sa fiancée demeure un mystère insondable et on peine à comprendre sa logique et sa cohérence psychologique (Nabokov peut-être s'en rend compte lui-même quand il fait dire à la mère de la jeune femme : "Elle ne l'aime pas"). le comportement de Loujine lui-même comporte quelques soubresauts qui cadrent mal avec sa logique d'ensemble. Mais qu'importe, malgré ses défauts, la défense Loujine reste une oeuvre marquante que j'ai relu à quarante ans d'écart avec la même fascination et la même empathie pour ce pauvre bougre dont la souffrance mentale n'a pas d'égal.
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Ce magnifique roman, écrit en russe et publié en 1930, fait partie des premiers romans de Nabokov, bien avant qu'il ne se mette à écrire en anglais et plus de 20 ans avant le scandale que déclenchera Lolita. Il a pour thème la vie d'un génie des échecs, jeu dont Nabokov était passionné : l'histoire est simple mais elle est portée par la force extraordinaire que Nabokov a mis dans la vie intérieure de son héros, par une magnifique écriture et par une construction étonnante vers le milieu du récit.
Le petit Loujine est un enfant solitaire, médiocre à l'école, harcelé par ses camarades, renfermé sur lui-même au point de fuir les contacts de ses parents, qu'il s'agisse des tentatives maladroites et vaines de son père pour communiquer avec lui ou des brèves effusions de sa mère, qu'il est incapable de lui rendre. On peut y voir les prémices d'un comportement autistique qui ne feront que s'accentuer dans sa vie.
Mais la découverte fortuite des échecs vers l'âge de 10 ans va faire basculer sa vie. A compter de ce jour, Loujine sera littéralement habité par les échecs. Génie précoce des échecs, il est rapidement pris en charge par un entraîneur qui va le faire jouer dans tous les tournois d'Europe pendant une quinzaine d'années. Mais Loujine surmené va devoir arrêter les échecs pour préserver sa santé mentale. Il est trop tard. Même les efforts de sa femme pour lui épargner tout rappel des échecs ne parviendront pas à enrayer la lente dégradation mentale de Loujine... Possédé par les échecs au point de voir dans chaque événement de sa vie un coup d'échec contre lui (très belle construction de Nabokov), Loujine s'égare et l'on suit avec angoisse et pitié la décomposition implacable de son esprit.
Loujine n'a rien d'un héros particulièrement sympathique : laid, fruste, impoli, impuissant à communiquer et à comprendre les autres mais il est attachant et l'on se surprend à espérer une fin heureuse pour lui. Nabokov a merveilleusement décrit les affres par lesquelles passe Loujine : angoisse quasi permanente, calme temporaire quand il lui semble avoir maîtrisé une attaque contre lui, désespoir et horreur quand il se rend compte qu'il ne peut échapper à ces attaques, dissimulation de son véritable état d'esprit à sa femme...
Sur ce même thème des échecs, j'avais adoré le joueur d'échecs de Stefan Zweig, court roman percutant, mais finalement je crois que je lui préfère de loin le roman de Nabokov.
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J'ai été saisi par la façon dont Nabokov arrive à nous faire ressentir la vie marginale de Loujine qui s'est construit une protection contre le monde qui l'entoure en s'enfouissant dans le jeu d'échecs. Autiste, psychotique, paranoïaque, hyper-sensible ? Peut-être un peu de tout cela à la fois.
Les personnages qui l'entourent sont également marquants et typés, celle qui devient sa femme notamment, par besoin d'avoir quelqu'un à protéger ; plus par amour maternel que par amour conjugal. le monde et le mode de vie des émigrés russes après la révolution est également très présent dans ce roman.
Enfin, le style d'écriture de Nabokov et de ses traducteurs Genia et René Cannac est particulièrement enveloppant : riche, travaillé, personnel tout en restant fluide à la lecture.
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