La philosophie de la révolution

Je ne doute pas, un seul instant, que notre lutte puisse réaliser les sincères aspirations de nos peuples.

Je répèterai sans cesse que nous sommes forts, mais le malheur veut que nous méconnaissions la qualité de notre force.

Nous nous trompons dans la définition de la force. La force ne consiste pas à crier : elle réside dans les actes.

Quand j’essaie d’analyser notre force, je ne puis perdre de vue les trois principaux éléments sur lesquels elle repose.

Le premier de ces éléments est que nous sommes une agglomération de peuples voisins, intimement liés par des attaches matérielles et morales.

De plus, nos peuples ont leur caractère propre et une civilisation qui fut jadis le berceau des trois grandes religions, ce qui ne saurait être négligé dans la conception d’un monde stable, organisé pour la paix.

Le second élément est notre territoire même avec sa position sur la carte géographique, qui en fait un nœud stratégique d’une haute importance, l’Égypte étant le carrefour des routes mondiales.

Reste le troisième élément, celui du pétrole, sang de la civilisation et du progrès : les grandes industries et les moyens de transport sur terre, sur mer et dans les airs, les armes, les avions, les sous-marins ne sauraient subsister sans le pétrole. (pp. 61-62)

Pieusement recueilli devant la Kaaba, je sentais mes pensées embrasser tous les pays portant l’empreinte de l’Islam, et je me disais :

« Notre conception du Pèlerinage doit changer. La visite de la Kaaba ne doit plus être un billet d’entrée au Paradis, ni une tentative ingénue pour l’achat du pardon divin.

Le Pèlerinage peut avoir une force politique énorme. La presse mondiale devrait s’y intéresser, non sous l’angle des rites et traditions, mais en le considérant comme un congrès politique périodique, qui réunirait chaque année les dirigeants des États islamiques, les hommes d’opinion, les ulémas, les écrivains, les négociants, les rois de l’industrie, ainsi que la jeunesse, en vue d’étudier les grandes lignes d’une politique commune à toutes les nations musulmanes.

Je voudrais que ces masses fussent recueillies, mais fortes ; sans ambitions, mais actives, soumises à Dieu mais craintes par l’adversaire, rêvant d’une autre vie, mais conscientes qu’elles ont une mission à accomplir sur terre. »

Je me souviens d’avoir fait part de quelques-unes de ces pensées à sa Majesté le Roi Seoud :

« Voilà effectivement le véritable motif du pèlerinage, me répondit-il. En vérité, je n’en saurais imaginer un autre. »

Lorsque j’imagine qu’il y a 80 millions de musulmans en Indonésie, 50 millions en Chine, quelques millions en Malaisie, au Siam et en Birmanie, 100 millions environ au Pakistan, plus de cent millions au Moyen-Orient, 40 millions en U.R.S.S. et d’autres millions dans des contrées lointaines, lorsque j’imagine, dis-je, ces centaines de millions d’âmes unies par le lien d’une même croyance, ma certitude en la possibilité d’une solidarité unissant tous ces musulmans grandit encore davantage.

Cette solidarité serait, sans aucun doute, l’échafaudage gigantesque de notre puissance. (pp. 65-66)