L'Évangile selon Youri

C'est alors que Le-Poète, gêné du tour que prenait la conversation, a repris sa démonstration :
- Maintenant, permettez que je vous dise la suite du poème. Vous verrez que vous êtes pris dedans, englués... peut-être en êtes-vous les héros. Les poésies sont ainsi. On croit qu'il s'agit d'un jeu gratuit, d'une jonglerie sonore. En vérité, c'est l'écriture du destin. La poésie, voyez-vous, est l'espace où les mots agissent sur le monde. Du grec poiésis, je vous le rappelle, qui signifie "agir".
Et il a déclamé :
Elle avait pris ce pli, dans son âge enfantin,
De venir dans ma chambre un peu chaque matin.
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère.
Elle entrait et disait : "Bonjour, mon petit père !"

J'entendais dans ma tête répéter le chant du griot, de l'incroyable Diabaté. "Ce que tu as vécu, cela ne m'intéresse pas ; ta peur, ta misère, cela ne m'intéresse pas ; tes rêves, tes grandeurs, cela ne m'intéresse pas ; ta solitude d'être humain, de vermisseau entre les cuisses de ta mère, cela ne m'intéresse pas. As-tu une parole de vérité capable de s'élever jusqu'au ciel ?

J'avais tout de suite prévenu le petit : je ne voulais pas de chien chez moi. Je déteste les chiens et leur passion pour la servitude, leur manie de s'offrir corps et âme au premier venu, à condition qu'il soit autoritaire et violent. Je déteste les chiens et leur manie de prendre la défense de leur maître, même s'il est le plus méchant des hommes. Les chiens sont masochistes par nature.

J'ai fumé depuis l'enfance [...] J'ai fumé lorsque j'étais angoissé, lorsque je réfléchissais, lorsque j'avais éprouvé une grande joie ou une déception ; j'ai fumé en buvant un coup ; j'ai fumé après le café, près dîner, après l'amour, après une grande frayeur, pour discuter, pour écrire, pour avoir l'air... Fumer est une permanence artificielle de l'être, mais une permanence contrôlée. J'ai fumé jusqu'à ce que mes bronches déclarent forfait, un soir, en montant un escalier. (p. 40)

Pour moi, soigner est un don, pas un métier. On ne peut le monnayer. Un don, c'est gratuit ! Ce sont eux, mes collègues, qui ont un problème. Soit ils n'ont pas le don de guérir, dans ce cas je me demande bien pourquoi on viendrait les consulter, soit ils monnaient un don véritable et je n'aimerais pas être à leur place lorsque leur saint, leur dieu, leur diable , ou je ne sais quel esprit malin qui leur a consenti ce talent, viendra décliner le décompte de leurs jours... (p. 11)

L'Eclaireur (ndlr:Youri, le nouveau Dieu) est venu nous enseigner la puissance de l'événement contre l'explication, la statistique, l'acceptation benoîte d'un monde statistique. Oui, l'événement! Comprenne qui pourra!

Il faut prendre garde aux étrangers.-; parmi eux se cachent des êtres exceptionnels.

L'essentiel dont nul ne parlait. Car l'essentiel, on ne savait qu'en dire.

Les gens étaient effondrés, vidés de tout ressort, car ils ne parvenaient plus à penser. Ils étaient pensés avant même d'ouvrir la bouche, encadrés par les infos en continu, la cervelle vidées par les réseaux sociaux.

Le monde leur appartient, ceux qui ont décidé de ne rien posséder.