Ma fille, lui dit Jean Canada, je te quitte pour remplir un devoir, et je te confie à des amis… Si un malheur m’arrive, reste avec eux. Ton père et ta mère sont morts, tu n’as plus d’autre famille que la grande famille des Canadiens et des Français.
Ce que vous me donnez me suffit… Oui, certes, si j’étais riche, je ferais bon usage de ma fortune, mais en attendant la possibilité de répandre de l’or parmi les pauvres, je leur prodigue des consolations, je pleure sur leurs maux, et je leur répète d’espérer.
Jean Canada ne peut être surpris que par un élan de générosité. Il n’a ni égoïsme, ni ambition. Le sentiment qu’il éprouve contre l’Angleterre et les représentants de sa puissance, est celui de l’homme qui défend la liberté de sa conscience et ses opinions patriotiques, voilà tout… Il est trop bien informé pour ne point savoir que vous le haïssez ; il devinera bientôt que je suis l’humble instrument dont vous daignez vous servir, eh bien ! supposez que vous vous trouviez en danger, seul en face de Jean Canada… Non seulement il ne chercherait point à aggraver votre péril, mais je suis certain qu’il risquerait sa vie pour sauver la vôtre…
Vous possédez la puissance, vous êtes libre en usant d’adresse, de spolier des Français de leurs biens, de les persécuter dans leur foi, tout en ayant l’air de la respecter. Ce que vous ne pouvez réaliser à l’égard de Jean Canada, protégé, par sa personnalité même, vous est loisible contre une foule d’êtres infimes dont il ne peut manquer de prendre ardemment la défense. Il agira d’abord dans l’ombre, car il se cache pour accomplir ses bienfaits, mais si la persécution devient trop violente contre ses coreligionnaires et ses amis, il en arrivera sans nul doute à entamer une guerre ouverte.
Abandonnés par la mère-patrie, nous ne pouvions nous résoudre à l’oublier. Notre haine pour les vainqueurs a survécu aux douleurs de la défaite. Nous sommes et nous resterons Français. Jamais nous ne cesserons de parler cette langue familiale, éloquente, faite à la fois de tendresse et de force. Le cœur, cet ardent foyer de dévouement, brûle toujours pour celle qui nous oublia, et le premier des titres pour gagner notre amitié est de venir de là-bas où souffle l’air qui passa sur notre berceau.