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Critique de Malaura


Il est toujours émouvant de découvrir les prémices d'une vocation d'artiste. Surtout quand cet artiste est de la trempe de Pablo Neruda, qu'il a été l'une des figures les plus importantes de la poésie sud-américaine du XXème siècle, qu'il a écrit d'inoubliables vers d'une foudroyante beauté, et qu'il a de surcroit symbolisé l'Espoir pour tout un peuple d'opprimés chiliens à l'époque de la dictature du général Pinochet.

Quels étaient les aspirations, les rêves, les émois de ce jeune garçon qui allait devenir le grand poète, écrivain et homme politique Pablo Neruda (1904-1973)? Qui signerait dans les années à venir des oeuvres d'une puissance exceptionnelle, des odes à l'amour magnifiques, des chants magistraux de liberté et de paix, et qui serait récompensé par le Prix Nobel de littérature en 1971?

Le chemin qui conduit à « La centaine d'amour », « Odes élémentaires » ou « Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée », pour ne citer que quelques une des oeuvres sublimes au parfum d'absolu et goût d'éternité que nous a offert Pablo Neruda, est là, dans ces « Cahiers de Temuco » rassemblant ses écrits de jeunesse, alors qu'il n'est encore que le jeune Neftali Ricardo Reyes, né dans un foyer modeste d'un père cheminot et d'une mère institutrice décédée, et qu'il mène une vie de collégien rêveur à Temuco, dans le sud du Chili, un pays de vent et de pluie, où la nature, aussi abrupte que luxuriante, prend des accents de séduction rebelle pour ce coeur juvénile en quête d'évasion…

Avec ces poèmes écrits entre 1919 et 1920, alors que le jeune poète a tout juste 16 ans, l'on pénètre dans le coeur même de ce que sera l'homme quelques années plus tard, l'on entre dans la création originelle, l'on suit tout doucement le parcours poétique et initiatique d'un jeune homme à la vocation déjà étonnamment précoce et active.

Bien sûr, le chemin est long à parcourir, aucun des poèmes proposés dans ces « Cahiers de Temuco » n'a encore la puissance, la grandeur, l'aura d'humanisme et d'universalité qui se dégageront dans les oeuvres ultérieures de Neruda, mais l'on ne peut qu'être subjugué et saisi, par la passion, l'inclination farouche, primordiale, vitale même, qui animent le lycéen et laissent déjà augurer de sa future destinée.

Il ne s'agit nullement ici, d'un jeune garçon qui s'adonne en passe temps à la poésie, non, bien au contraire. Il s'agit bel et bien d'une prédilection essentielle pour les mots et leur musicalité, d'un penchant de chaque instant, de chaque seconde, d'une disposition qui, au-delà des aptitudes et des facilités du garçon, se caractérise comme l'essence même de la vie, la compose et la contient.
Une sensibilité aigue émane de ces poèmes écrits avec une régularité proprement ahurissante.
Presque chaque jour, avec concentration, avec constance, avec application, avec une abstraction quasi-totale de tout ce qui amuse habituellement les adolescents de son âge, le jeune homme écrit au moins un poème, parfois même plusieurs, rédigeant consciencieusement sur des cahiers d'écolier, d'une écriture soignée, sans aucune rature, des écrits poétiques qui reflètent les aspects de sa vie à Temuco mêlés à ses plus profonds ressentis. Sentiment prégnant de mélancolie, de tristesse, de spleen : « Dans ces rues tristes en cette fin d'après-midi / Je promène ma lassitude d'enfant précoce ».

Pour Neftali Ricardo Reyes, la Vie est tout simplement Poésie. C'est par elle qu'il conçoit le monde qui l'entoure, c'est par elle qu'il contemple, qu'il aime, qu'il rêve, qu'il pleure, qu'il espère… c'est par elle qu'il s'interroge, se rebelle ou se lamente sur la condition des hommes, avec déjà cette large part accordée à l'humain, au peuple et aux paysans. La vocation se double déjà d'engagement politique pour celui qui n'aura de cesse de revendiquer la mission humaine du poète qui doit pouvoir être un chantre du Beau tout autant qu'un « barde d'utilité publique ».

Bien sûr le poète se cherche, tâtonne, est soumis à de nombreuses influences, notamment la poésie française pour laquelle il a un penchant prononcé car elle s'accorde parfaitement à son âme nostalgique et rêveuse ; Baudelaire, Rimbaud et surtout Verlaine l'inspirent, ainsi que bon nombre d'autres poètes, notamment sud-américains.

Mais il se dégage surtout une ambiance particulière dans ce recueil, différente des autres oeuvres du grand poète chilien, et c'est cela qui est important, intense et intéressant dans ces « Cahiers de Temuco ».
C'est l'atmosphère propre à l'enfance en passe de franchir le monde des adultes, et en proie aux doutes, à la peur, aux incertitudes et aux illusions. C'est l'enfance en pleine interrogation face à l'amour, la famille, la religion, l'avenir, et en même temps c'est le travail poétique d'un jeune être qui, peu à peu, va trouver sa voie et emprunter le passage qui le conduira à l'homme qu'il est devenu, ce grand poète qui s'est élevé contre toutes formes de dictatures, qui a loué avec ferveur les sentiments amoureux, et qui avait un rêve, celui qu'un jour « tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s'épanouir.»
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