Le retour de la compassion

— Bien, je pense à la partie dont a parlé Elise, concernant vos fautes et vos renonciations aux nobles vérités. Y en a-t-il eu ? Si oui, quelles étaient-elles ? J’exige une réponse à ces deux questions. Avez-vous tué ? Avez-vous volontairement causé le mal ?
— Seigneur Jésus ! – hurla Elise. Ce n’était sûrement pas approprié, mais ça correspondait bien à l’angoisse qu’elle ressentait en elle. – Non, nous n’avons jamais tué et pourtant, j’ai la phobie des araignées, mais je ne les tue pas. Si j’en vois une, je demande à une de mes sœurs de la mettre dehors et je veille à ce qu’elle ne l’écrase pas. Sinon, vous le savez, lama Khampo ; vous êtes notre lama. Nous ne tuons plus ni lapin, ni porc, ni le moindre animal. Nous respectons le Dharma sur ce point précis. – Il sourit.
— Pourquoi un tel énervement ? Te sens-tu en accusation ? Tout cela est parfait. Maintenant, il existe d’autres interdictions. N’avez-vous, aucune de vous deux, la moindre idée de ce qu’elles sont ?
— Voler, médire, critiquer le Dharma. Nous ne l’avons jamais fait – s’exclama Elise.
— Ce ne sont pas les seules. – murmura Khampo.
— Parles-tu de la sexualité ? – questionna Jakli. Il se contenta de hocher la tête.
— Dans ce cas, entendons-nous bien. Tu connais ma vie aussi bien que moi. J’aime Elise de toute mon âme et de tout mon cœur. Elle est mon amante et elle le restera aussi longtemps qu’elle le souhaitera. Je hais les hommes, plus jamais je ne veux en voir un près de moi. Plus exactement, un en âge de me faire l’amour. J’imagine que tu te poses la grande question. Pourquoi ? Lorsque j’avais treize ans, trois étudiants de Pékin qui partageaient notre dortoir sont entrés dans ma chambre. Ils voulaient jouer. Moi, naïve, je les ai crus. Le jeu était un simple jeu de cartes très en vogue à Beijing. Sauf qu’il était truqué. Alors le premier qui a perdu a dû se mettre en slip. J’ai hurlé, en essayant de leur faire arrêter la partie. Mais elle a continué et, même quand je ne jouais plus, les autres jouaient pour moi. J’ai essayé de fuir, mais la porte était verrouillée. Bref, finalement, j’étais entièrement habillée. Les garçons, complètement à poil, comme vous dites ici. Alors ils m’ont violée. De la souffrance, aucun plaisir et une envie de mourir à chaque instant. Le lendemain, j’ai porté plainte auprès de la police du peuple sur le campus. Ils m’ont ri au nez. Une Tibétaine ne pouvait se plaindre de viol, leur nature voulait qu’elles n’aiment que ça. Alors je me suis enfuie et j’ai regagné Lo-Tcheu, me réfugiant chez mes parents. Ensuite, tu connais l’histoire. Alors, que ce soit par toi, mon oncle que j’aime tant, ou par n’importe qui, je ne veux plus jamais être critiquée dans ma manière de vivre ou d’aimer. – Lama Khampo les fixait toutes les deux, les larmes aux yeux. Elise attrapa la main de Jakli.
— Que les cent mille Buddhas te protègent à jamais et que la Terre me prenne pour témoin… – dit-elle, en posant sa main sur le sol. – … Je t’aime et jamais je ne t’abandonnerai. – Sa com-pagne l’embrassa sans aucune pudeur. Pourtant, c’était tellement plaisant.
— Mes enfants, je pense que nous devrions reprendre notre discussion. – Elles s’assirent toutes les deux avec un sourire qui ne les quittait plus.
— Nous vous écoutons Khampo Rimpotché  ! – annonça Elise. Khampo était peut-être ou sû-rement un Rimpotché, mais jamais il ne voulait entendre ce titre.
— Premièrement, Jakli, Elise, vous ne commettez aucune faute. La véritable faute est une rela-tion sexuelle sans amour, juste pour le plaisir et le désir. Il est clair que votre amour existe et est bien réel. Deuxièmement, ce Jamyang est soit le Jamyang des légendes, soit un impos-teur. – expliqua-t-il.
— C’est-à-dire ? – demanda Jakli.
— Dans le premier cas, c’est un Buddha. Un être supérieur qui vient et repart sans laisser de traces. Son but est de laisser un message, de donner une indication. Et cela, dans un but précis ! Il est à la recherche des prochains Buddhas ou Bodhisattva…
— Et sinon ? – interrogea Jakli.
— Un démon terrible. Un monstre. Mais plus personne ne croit en leur existence. De plus, pourquoi s’en prendrait-il à vous ?
— Tu oublies ce que je viens de t’avouer, Aku Khampo.
— Et aurais-tu déjà oublié ma réponse ? Oui, tu as souffert, tout comme j’ai souffert. Ensuite, nous avons repris nos vies et suivi le Buddha, sans nous dévier de sa voie. Non, sincère-ment, je suis un maître du Dzogchen . Je vous protège et jamais un démon ne s’en prendra à vous. Ils préfèrent ceux qui ont un karma déjà bien taché.
— Dans tous les cas, pourquoi nous rendre visite ? Si nous ne sommes pas assez impures pour recevoir la visite d’un démon, dans quel cas un boddhisattva s’intéresserait-il à nous ? Nous ne sommes pas dignes de laver ses pieds.