Darwyne

Il entend les oiseaux de la nuit, feuler le grand ibijau, crisser la chouette à lunettes, il entend chanter les rainettes et les adénomères, il entend brailler les singes hurleurs, tout là-bas.

Des tamarins à mains jaunes, qui bondissent de branche en branche en acrobates virtuoses, s'accrochent aux feuillages, se balancent au bout de rameaux minuscules.

C’est peut-être ce qu’elle aime le plus, d’ailleurs : cette impression d’être dépassée par le monde qui l’entoure. Cette certitude que, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle apprenne, l’Amazonie conservera sa part d’inconnu. Sa part de magie, quand tout ailleurs est devenu si rationnel et maîtrisé.

Jhonson boit son eau fraiche. Il en a déjà entendu parler, de cette histoire de réchauffement , mais il ne sait pas très bien quoi en penser. Ni en quoi ça les concerne, vu la chaleur qu'il fait déjà toute l'année et tous les problèmes d'argent et de papiers que les gens comme eux ont déjà sur les épaules.

Beaucoup plus que de se faire piquer par un insecte ou un serpent, s'il y a bien un danger en forêt amazonienne c'est celui-là : se perdre.

Darwyne, il s'y connait en beaux-pères.
Il lui semble, même, que sa vie d'enfant a été rythmée par ça, par le passage des hommes de la mère dans leur petit carbet. Il ne se souvient pas des noms, ou plutôt il n'a pas envie de s'en souvenir, alors dans sa tête, il leur a donné des numéros : beau-père un, beau-père deux, beau-père trois...

Il lui semble, même, entendre le sous-bois qui se presse derrière l'orée, qui pousse le front ligneux telle une armée de colosses, arbres animés d'une folie dormante, faune repoussée trop loin et l'observant depuis les profondeurs.

A tous les Darwyne
Des villes et des forêts
Aux quémandeurs d'amour
Aux mendiants de l'attention


Aux enfances saccagées
De celles qui font les monstres
Comme une Amazonie
Après les bulldozers

Puis il empoigne sa débroussailleuse et se dirige vers le portail automatique, la villa avec terrasse et piscine et arbres fruitiers dans son dos. Il devine que l'homme le suit du regard, rassuré de le voir quitter les lieux. Parce que les gens comme lui, les étrangers, ça va pour débroussailler son terrain, mais il ne faudrait pas qu'ils s'incrustent non plus. Il a compris ça, Jhonson, qu'ici il y a des frontières faites pour ne jamais être franchies.

Le jour perce dans les trous des rideaux, fils de lumière tendus entre mur et fenêtre.