Je vous présente une nouvelle élève, annonça le prof, elle s’appelle Haya. Elle vient de Syrie…
Ils ne veulent pas de nous....ils pensent qu'on est venus ici pour de mauvaises raisons, ils croient que nous avons le choix...mais le seul choix qu'on a fait, c'était celui de ne pas mourir...
Tu sais, à ta place, je me fatiguerais pas, le prof a dit qu'elle parlait pas très bien français, alors y'a des chances pour qu'elle comprenne rien de ce que tu dis...
[...]
- Et alors ? Si on lui parle pas, comment veux-tu qu'elle apprenne ?
Un mauvais rêve ? Oui, ce n’est qu’un mauvais rêve. La preuve aucun missile n’illumine le ciel, il n’y a ni bruit d’obus ou de bombes, ni hurlements, mais elle a beau tenter de s’en persuader, une partie d’elle-même reste là, comme tous les soirs, toutes les nuits, à frémir et à scruter l’obscurité avec un regard rempli de terreur.
Elle n'a simplement pas envie de lui expliquer qu'elle peut se défendre seule. Et que si elle n'a pas répondu aux propos insultants de ces deux garçons, ce n'est pas par peur, par manque de fierté ou de dignité, mais par indifférence. L'indifférence qu'elle ressent pour ces gens. Ces étrangers. Page 52
-Tu crois qu’un jour tu retourneras dans ton pays ?
Un large sourire s’affiche soudain sur le visage d’Haya.
- J’en suis sûr.
- Bien. Si ça arrive un jour, je crois que ça me plairait de t’accompagner.
- Vraiment ?
- Oui mais cette fois, c’est toi qui devras me servir de guide.
Elle lève les yeux vers lu. Des yeux pleins d’espoir, des yeux lumineux. Des yeux qui parlent d’avenir.
C’est une promesse ?
Il la dévisage longuement puis prend doucement la main.
-C’est une promesse, oui...
Ils ignorent qu'elle a seulement peur des chars, des hommes avec des fusils, qu'elle a peur des armes, des balles qui fusent et des bombes, ils ignorent qu'elle a surtout peur de perdre les gens qu'elle aime...
- Je ne vois pas en quoi laisser des enfants mourir sous les bombes et se faire massacrer changera quelque chose à la misère et aux injustices qui existent dans ce pays.
Haya l’écoute d’une oreille distraite. Elle a raison, une partie du cerveau d’Haya sait que maman a raison et qu’il n’y a pas de guerre en France et que personne ne viendra leur faire de mal à elle ou à sa famille. Mais une autre partie d’elle-même n’arrive pas à oublier. Non, cette partie-là, elle, se souvient de tout. Elle reste sur le qui-vive et l’empêche de se reposer. Elle lui rappelle sans cesse tout ce qu’elle a vécu. Les tirs sur l’école, le bruit des sirènes des voitures des secours.
Je sais. Je ne le fais pas exprès, soupire Haya. Depuis qu’ils se sont installés ici, Haya réveille tout le monde toutes les nuits à cause de ses cauchemars et elle a beau culpabiliser, elle ne sait pas quoi faire pour s’empêcher de hurler. Papa tente souvent de la rassurer, il dit que c’est une réaction normale et que maintenant qu’ils ne risquent plus rien, elle laisse simplement échapper toutes les émotions qu’elle a emmagasinées ces dernières années. Maman pense, elle, qu’Haya est juste traumatisée par toutes les horreurs auxquelles elle a assisté et qu’elle les revoit dans ses rêves. L’un et l’autre ont sans doute raison.
Dans quelques temps, ajoute maman, tu iras mieux et tu oublieras, tu verras …
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Gabriel ne peut s’empêcher de sourire en voyant la lueur de joie briller dans les yeux de sa mère. Il se souvient qu’un jour il lui a demandé pourquoi grand-mère aimait tant faire la cuisine et qu’elle lui a répondu « c’est une question d’amour ».