Il y a quelques semaines, j'ai lu «
Le rouge vif de la rhubarbe » de Auður Ava Ólafsdóttir. J'ai tellement aimé la beauté poétique de ce roman, la douce atmosphère qui s'en dégageait, que j'ai souhaité poursuivre ma découverte de l'oeuvre de cette autrice islandaise avec « Eden ».
Il est des voyages dont on ne ressort jamais tout à fait indemne.
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« Eden » est l'histoire d'une femme, Alba. Spécialiste des langues minoritaires menacées de disparition, elle enseigne la linguistique à l'université et voyage dans le monde entier pour participer à des colloques et des conférences.
Un jour, elle réalise que pour compenser l'empreinte carbone de tous ses déplacements transatlantiques sur l'année écoulée, il faudrait qu'elle plante 5 600 arbres. Elle décide alors d'acheter une parcelle et de la boiser avec plusieurs essences différentes.
À travers ce récit , Auður Ava Ólafsdóttir met en évidence ce sentiment que la diversité culturelle et linguistique est une richesse menacée, que notre façon outrancière de vivre détruit le capital naturel de notre planète.
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Auður Ava Ólafsdóttir nous emmène en voyage à travers des paysages d'une beauté nue et d'une aridité à couper le souffle. Elle parle avec poésie de ses terres où presque rien ne pousse. Elle crée un jeu fascinant de couleurs et de nuances où la teinte noire de la roche volcanique prédomine.
C'est sur ces terres qu'Alba, inlassablement, va planter ces milliers d'arbres, notamment des bouleaux, capables sous ces latitudes de résister au vent et au froid hivernal.
A travers ce personnage, le roman nous fait réfléchir sur des sujets tels que l'environnement, l'écologie, le changement climatique, l'exploitation raisonnée des richesses naturelles de notre planète. Il est question de perte et d'appauvrissement, de culpabilité et de responsabilité, mais aussi de reconstruction.
« Tandis que je traverse la lande, je me rends compte qu'aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de maman, pourtant, la terre n'est pas blanche comme il y a six ans, les températures sont au-dessus de zéro, on perçoit comme un printemps dans l'air, du reste, j'ai été réveillée ce matin rue Auðarstræti par le chant d'un oiseau, un merle noir posé sur le garde-corps du balcon. C'est une bonne journée pour planter des arbres. »
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Le langage est également un thème central.
La narratrice a un côté rêveur que j'ai apprécié, souvent ses pensées se perdent dans l'étymologie et le sens des mots.
« Je me fais la réflexion que si toute la Terre parlait la même langue, cela épargnerait non seulement bien des malentendus, mais permettrait en outre de considérables économies en termes de traducteurs et d'interprètes. J'imagine que cette langue pourrait être l'islandais puisqu'à ma connaissance c'est la seule dans laquelle les mots qui désignent le monde et le foyer ont la même racine – heimur et heimili. »
L'autrice nous amène à réfléchir sur ces langues minoritaires qui disparaissent peu à peu. J'ai été étonnée d'apprendre que, sur les 6 500 langues que l'on estime parlées aujourd'hui, une langue meurt pratiquement toutes les deux semaines. L'Islandais parlé par seulement 340 000 habitants pourrait ainsi un jour disparaître.
Cela peut paraître un détail, une broutille, pourtant en perdant ces langues, on perd des cultures, des coutumes et des traditions locales, des modes de vie, des façons de penser et de s'ouvrir au monde et aux autres.
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L'autrice développe de belles relations entre ses personnages. J'ai aimé la remarquable profondeur psychologique de chacun, leur sensibilité, leur quête de soi et d'une vie nouvelle, davantage tournée vers l'autre et la nature.
Une quête où chacun écrit son éden.
« Nous sommes à chaque instant au centre de notre existence. »
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J'ai retrouvé dans ce roman la délicatesse et la finesse dans le travail d'écriture de l'auteur, la pudeur et le silence dans la peinture des sentiments et des émotions. Son roman entrelace la langue des mots et du coeur, il y a beaucoup de bienveillance et de lumière malgré les sujets importants et graves.
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Encore une belle réussite, Auður Ava Ólafsdóttir ne cesse de me charmer, évoquant la banalité du quotidien avec tendresse, générosité, beauté et magie.
Un roman introspectif tout en finesse à découvrir.
Je finis avec ces mots, les derniers du roman :
« Tout ira bien. »