Qu'est-ce qui est important dans ma vie ? Les réponses arrivent par flashes, par paliers. Dégagé des contingences, l'avoir s'efface devant l'être. Et c'est là que la marche révèle son secret : on croyait aller vers les autres et l'on arrive à soi-même.
Les publicitaires ont vite compris que les plus jeunes étaient les plus malléables. Chaque jour, on en voit les effets : des jouvenceaux, parés de toutes les grâces pourvu qu'elles soient "de marque", paient les violons d'un bal dont ils ne sont que les spectateurs.
Hier, Lénine et Staline rasaient les mosquées pour les remplacer par des cinémas, aujourd'hui on déboulonne leurs statues pour construire des supermarchés. Le roue tourne vite. A peine a-t-on rangé les pelles qu'on sort les pioches.
Ma sagesse, voilà, je l'ai trouvée : c'est de n'être pas sage.
Il est curieux de noter que plus les moyens de communication se multiplient et se modernisent de par le monde, plus l'on rencontre de ces voyageurs qui recherchent la lenteur et l'archaïsme, signe sans doute d'un besoin de rébellion et de résistance à l'égard de ce monde que l'on se plaît à dire "performant" et pour lequel la vitesse est la vertu majeure.
Ma sagesse, c'est la vie, active et chaleureuse, de ceux qui veulent construire une société meilleure.
Il est bien vrai que je cherche à m'extraire de la folie qui semble envahir nos sociétés. Notre monde va trop vite, comme un fou. Il est donc urgent de ralentir. Mais je ne veux pas fuir, encore moins cesser d'avancer. Je veux juste tenter de vivre au rythme de la pensée. Et la marche freine cette course à la mort - que l'on confond avec la vie - qui s'est emparée de nos sociétés dites civilisées. Lesquelles me semblent ne plus exister qu'à travers le miroir déformé que leur tend la télévision.
Partout, dans chacune des anciennes républiques soviétiques, l'explosif est en place. Ne manque plus que le détonateur.
Extrait du livre
PARTIR
Le plus difficile, dit-on, est de partir. Mais repartir est pire encore.
Voilà deux jours que j’ai repris, depuis Samarcande, cette route de la soie qui tout à la fois m’obsède, m’enchante et m’effraie depuis maintenant deux ans. Mon corps proteste : muscles douloureux, jambes qui refusent les kilomètres, sensation de soif inextinguible de l’organisme qui récuse cette chaleur soudaine, nuits hantées de rêves érotiques par une sexualité niant la diète imposée…Il n’y a pas que le premier pas qui coûte. Chaque kilomètre est cruel, les premiers jours. Le plus crucifiant restera pourtant l’arrachement à ceux que j’aime. Certes, les voleurs et les flics amateurs de dollars, les hauteurs glacées du Pamir que je devrai franchir, le désert du Taklamakan -– en ouighour, « l’endroit d’où on ne revient pas » –, tout cela sera mon lot durant les cent vingt jours que durera ma marche de 2001. le cauchemar suprême étant toutefois le terrible isolement dans lequel je vais être plongé jusqu’à ce que je parvienne à Turfan, cette oasis brûlante que les chinois nomment « la Terre de Feu ». je ne m’accoutume pas à la solitude. J’ai soif encore plus qu’auparavant d’aventures, de rencontres, de tous ces bonheurs dont cette route enivrante m’a jusqu’alors abreuvé…
Au village de Pakhtakor, Komal me tombe littéralement dessus. C'est un gros garçon d'une trentaine d'années qui est convaincu de parler un bon anglais. L'arrivée d'un étranger est pour lui un événement considérable et l’occasion rêvée de prouver que son peuple est le plus hospitalier de la terre.