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Critique de lanard


Véritable « Portrait de l'artiste en Voyageur », ce livre, teinté des couleurs convenues de l'exotisme polynésien (îles verdoyantes, lagons bleus et vahinés) exprime avec une certaine candeur les fantasmes que les îles Marquises inspirent au chef de file de l'hédonisme nietzschéen en France. Les Marquises regardées à travers le prisme de l'oeuvre de Victor Segalen et de Paul Gauguin sont prétextes à un voyage du philosophe. C'est par la grâce de l'hebdomadaire le Point qui embauche le philosophe pour sa série d'été (Vie et mort des Marquises, le Point n°2 290, du jeudi 28 juillet 2016) que Michel Onfray réalise un rêve d'adolescent. le présent ouvrage est une refonte de ces articles dans le format plus noble de la collection blanche de Gallimard. Pour l'occasion, le philosophe, qui a toujours revendiqué son intérêt pour les biographies, emporte avec lui celle de Segalen par Henry Bouillier et les oeuvres du Cycle polynésien. Ces écrits lui ayant révélé que l'écrivain voyageur ne s'était jamais intéressé aux pays et océans qu'il avait traversé avant d'atteindre Tahiti, il se console de la banalité ennuyeuse des voyages en avion: « Dès lors, le voyage en avion n'est guère différent des milles que Segalen avale en bateau. Il embarque, il traverse sans rien regarder, puis il débarque. Voilà tout. Entre deux, il a rêvé le lieu, il l'a pensé, il l'a souhaité et désiré. »
Confusion entre rêver et penser, on prend ses désirs pour des réalités : en débarquant à Tahiti, Michel Onfray n'échappe pas au sortilège Polynésien.

Depuis que les européens ont découvert Tahiti, ils ne peuvent se la représenter autrement que comme un Paradis en état de déchéance permanente ; ils s'y complaisent dans leurs fantasmes d'une sexualité libre et la contemplation des vestiges d'un bonheur en train de se faner sous leur influence maligne (Romain Gary moque superbement cette posture dans « La tête coupable »). Cette attitude date de bien avant Gauguin et Segalen, qui la théorisa ; on la trouve par exemple dans le récit de Max Radiguet, Les derniers sauvages aux îles Marquises 1842-1859. Ce sentiment de porter malheur aux bons sauvages ne trouve pas seulement son origine dans le constat des fléaux réels importés par les européens (maladies contagieuses, alcool, colonialisme, etc.) il est aussi causé par le besoin d'un indice factuel de la réalité de fantasmes philosophiques : l'homme naturellement bon rousseauiste et la morale hédoniste naturelle pour Onfray.
Peut-être que ce dernier devrait s'intéresser aux travaux de l'anthropologue Serge Tcherkézoff (Tahiti – 1768 jeunes filles en pleurs : la face cachée des premiers contacts et la naissance du mythe occidental, éditions Au Vent des îles) plutôt que d'écouter un quidam marquisien qui lui parle des grands initiés d'un paganisme maori que le christianisme aurait refoulé en religion ésotérique.

On ne s'étonnera dont pas que les fruits de cette expérience humaine aux Marquises aient la saveurs très standardisée des jus de fruits exotiques de nos meilleurs supermarchés. Bien qu'il s'en défende, Onfray a fait le touriste en Polynésie et s'est fait traître ce faisant à son maître Segalen. Il croit rendre hommage aux polynésiens en mythifiant leur passé sans se rendre compte du mépris qu'il porte aux marquisiens d'aujourd'hui (voir sa mésaventure dans l'église de Puamau, pp. 72-73).

Dans les dernières pages, il se demande ce qu'il pourrait faire pour les polynésiens. « Il ne me venait qu'une chose à l'esprit : dire. Dire, c'est parfois faire ; mais faire est moins de mon ressort que ceux qui, là-bas, peuvent vouloir autrement que ce qu'on a voulu pour eux depuis leur destruction programmée. ‘'Soyez résolus de ne servir plus et voilà libres'', enseigne La Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire. Or, on ne peut pas vouloir pour autrui. Juste lui dire qu'il peut vouloir » (pp. 116-117).
On pourrait voir dans ces mots de la modestie.
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