Citations sur Avec le corps qu'elle a... (29)
Jouer à bien aller, c’est difficile mais peut-être moins difficile qu’oser être soi-même dans la peine. J’admire ceux qui demeurent calmes, qui s’expriment doucement, qui laissent aux mots le temps de déposer leur message. Ceux qui ne les diluent pas pour en atténuer la force. Ceux qui ne se laissent pas emporter par l’émotion, comme s’ils n’étaient pas profondément et irrémédiablement touchés.
J'étais entourée d'amies pour qui la vie était une aventure et non un chemin tout tracé. Les livres de Beauvoir auraient dû m'encourager à m'affirmer. Comment ai-je pu me soumettre sans un mot, sans réagir ? Une part de moi à consenti. J'aurais pu me disculper derrière les modèles dictés par mon éducation bourgeoise. Mais cela n'aurait pas été courageux. Je n'avais pas la trempe d'une féministe. J'étais en détresse. Coupable, forcément. Mais de quoi exactement ? D'être une fille "bien roulée", comme ils disent, et de me laisser manipuler par les hommes ? Qu'est ce que j'en avais à faire d'être bien roulée si à l'intérieur j'étais engourdie par une longue nuit sans rêves pour me tenir chaud ?
Pour me consoler de ne pas savoir arracher à la vie les bons moments, j'avais fini par trouver une élégance à bouder les enjoués, les boute-en-train. Ceux qui savent jouir de la vie aggravaient mon anomalie.
J’ai toujours eu un faible pour les hommes plus âgés, pour mes profs, pour les cheveux gris, les rides du sourire, et le maestro cumulait pas mal de ces critères. Pourtant je n’y vais pas, je suis blessée, cela ne se voit pas, mais les mots qui auraient dû s’envoler sont restés plantés dans mon cœur. J’ai mal.
Certains se débarrassent des situations les plus humiliantes en les extériorisant, mais je ne peux pas. Tel est l’étrange paradoxe. Les mots empoisonnés vont me tuer à petit feu, je le sens bien, mais je ne les recrache pas.
Je pouvais déplorer ma sensibilité, mon émotivité ; je ne pouvais pas m’en guérir. Il faudrait donc que je fasse avec cette pathétique vulnérabilité. Dans les moments de lassitude, tenter d’y puiser un peu d’indifférence, de supériorité, si seulement l’incident ne revenait pas en boucle me torturer.
La provocation n’était pas mon fort. La violence, je ne savais que la retourner contre moi.
Les livres de Beauvoir auraient dû m’encourager à m’affirmer. Comment ai-je pu me soumettre sans un mot, sans réagir ? Une part de moi a consenti. J’aurais pu me disculper derrière les modèles dictés par mon éducation bourgeoise.Mais cela n’aurait pas été courageux. Je n’avais pas la trempe d’une féministe. J’étais en détresse. Coupable, forcément. Mais de quoi exactement ? D’être une fille « bien roulée », comme ils disent, et de me laisser manipuler par les hommes ? Qu’est-ce que j’en avais à faire d’être bien roulée si à l’intérieur j’étais engourdie par une longue nuit sans rêves pour me tenir chaud ?
Il y a un temps pour vivre et un temps pour comprendre ; ces deux moments ne sont pas coordonnés quand on est jeune. Si, à cette époque, l’éclairage se produisait parfois, de façon intuitive, cela durait le temps d’un éclair, jamais assez pour m’installer dans la sérénité.
On connaît les bons endroits, on s’en vante, on apprécie les bons produits, on pense à soi, à sa santé. Et si elle se situait là, la clef du bonheur ? S’aimer avant les autres.
Le silence est la seule réponse possible. À la honte se mêle un étrange sentiment, il m’empêche d’appeler à l’aide. Un sentiment de culpabilité, je suis responsable de ce qui vient de se produire.
Apparemment, je suis toujours là ; pourtant, je me suis enfuie de mes pensées. Mon corps demeure sur la crique, mais pas mon esprit, pas moi. Morte au-dedans et vivante au-dehors. Le pire des attelages.