Le sûr refuge
Les étoiles en fleur et la lune candide
Mirent leur froid regard dans le bassin des eaux
Et font luire, parmi les joncs et les roseaux.
L'étang plein de clarté que nul souffle ne ride.
Par les sentiers couverts, la chanson des amants
S'éteint. Leur double pas s'attarde sur la mousse.
Seule, j'entends rôder, dans l'ombre vague et douce,
Le nocturne troupeau des épouvantements.
La lune a peur d'errer toujours dans les ciels sombres,
Elle est pâle de voir toujours trembler les pins
Et d'entendre, mêlée à des soupirs humains.
L'eau gémir, prisonnière au lacis noir des ombres.
Les peupliers blafar'ds grelottent avec bruit.
Les grillons, les crapauds poussent de longues plaintes;
Troublant les vieux remords et ravivant les craintes,
Des morts mal éveillés trébuchent dans la nuit.
Un hibou monstrueux à la face hagarde
Frappe de son vol mou, nos vitres. Que veut-il?...
Il passe : À l'Orient où vibre un feu subtil,
Le visage du ciel est tout changé. Regarde.
Sur des brumes couleur de perle, frais coussin.
Le soleil nouveau-né s'éveille du mystère ;
Telle on voit se gonfler sur l'étang solitaire
La fleur du nymphéa, ronde comme un beau sein.
Voici le jour. Les nids le chantent, dans le saule.
Les fantômes vont fuir devant le dieu vainqueur,
Cache-moi dans tes bras et tout près de ton cœur,
Je veux dormir longtemps, le front sur ton épaule.
J'adore ta tristesse et ta grâce farouche
Quand tu viens, au Printemps, dans les arbres en fleur,
Poser ta face claire où l'Avril met sa bouche,
Tel, entre ses doigts blancs, rit un enfant boudeur.
Dans l'Automne joyeux, succédant aux soirs fauves,
Tu te lèves ardente et rouge, à l'Orient,
Puis, dans la brume pâle aux discrètes alcôves,
Sur des nuages frais, tu dors en souriant.
Je t'aime plus encore en un ciel sans nuées
Quand tu luis seule, au balcon bleu des nuits d'été.
Laissant tomber au vent tes robes dénouées,
Tu mires, dans les eaux sereines, ta beauté.
Et la source emplit l'air de chansons amoureuses
Qui s'éteignent parfois en longs soupirs pâmés;
Les forts parfums vers toi montent des fleurs heureuses,
Enivrés de blancheur, les lys se sont fermés.
Sans cesse variant tes formes adorables,
Arc aux flèches d'argent, visage aux calmes yeux,
Tu visites, la nuit, les hommes misérables,
Tu cueilles nos soupirs pour les porter aux cieux.
Par les rangs inclinés des roseaux taciturnes,
Tu vas, magnifiant les flots aux larges plis;
Dans les cœurs languissants et sur les eaux nocturnes,
Ton regard fait germer des floraisons de lys.
CHANTS DU SILENCE
La forêt de Juin tressaille sous la nuit.
Des pas furtifs ont ployé l'herbe des allées
Et de confuses voix, sous les grottes voilées,
Disent tout bas des mots au vent jaseur qui fuit.
Le lac, parmi les branches basses, dort et luit,
Coupe de sombre azur aux vagues étoilées,
Et la chanson des eaux, par grandes envolées,
Domine la chanson du feuillage qui bruit.
L'haleine des foins mûrs enivre la nuit douce ;
Un long frémissement berce les nids de mousse
Que l'arbre paternel couve. D'un noir rameau
Part le cri velouté de la hulotte brune
Et, sanglot résumant ces soupirs, le jet d'eau
Tend son beau front qui penche aux baisers de la lune.
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