Le roman
Noces de mulet' dont la traduction française a été publiée en 1984. Autrement dit, si allégorie, il y a ce qui paraît irréfutable elle renvoie à une situation très nettement antérieure à 1975, d'autant que le bagne de Guyane, auquel il est fait maintes fois référence, été fermé en 1946. Aussi serait-il tentant, pour beaucoup, tout particulièrement ceux ayant vécu au sein ou à côté du système politique régentant, alors, le pays, et connaissant le caractère «rebelle» (intellectuellement et entre «amis») de l'auteur, de voir, dans l'unité de lieu du récit, l'Algérie convoitée par plusieurs leaders politiques aux idéaux diablement divergents, car en fait, l'histoire du FLN, de ses origines à l'exercice du pouvoir, n'est pas un long fleuve tranquille.
L'action (souvent sanglante ou sonnante et trébuchante, car il y a aussi un problème de «pouvoir») se passe presque entièrement dans le plus grand et le plus beau bordel de Tunis, tenu par El Annabiya, pour qui jadis Hadj Kayenne a tué. Ce qui lui a valu de passer dix-huit ans au bagne, d'où son surnom. de leur génération, il y a aussi Hammoud Judoka, souteneur et barman, que l'on a mis à la porte avant d'organiser la fête pour les
noces de mulet' d'El Annabiya avec Khatem, le jeune et séduisant proxénète qui pourrait bien n'être qu'un sombre arriviste sans scrupules.
Au fil des jours, et des nuits, l'établissement, respectable et qui paye ses impôts, voit affluer les clients qui souvent, trop souvent, demandent les services de la belle Hayat En-Noufous. Rien à voir avec l'établissement concurrent où un soir débarque Hammoud «un bordel délabré, tenu par des prostituées décaties (... ) Outrageusement maquillées, affublées de perruques, elles ont la cigarette à la bouche comme pour se réchauffer, alors que l'atmosphère est étouffante». Chez El Annabiya, la bière coule à flot, la musique arabe s'écoute en permanence, et les filles chantent des romances. Bref la vie dans le péché, ce qu'un jeune émule de la Zitouna (Hadj Kayenne) ne peut tolérer... lui qui était arrivé là par hasard,, souhaitant alors entreprendre sa campagne de «blanchiment des âmes» et se retrouvant perdu dans les corps féminins et la zetla (celle-ci, prise en cachette, loin du bas monde, au fond d'une fosse dans un cimetière peu fréquenté... tentant de créer son «labyrinthe intime».
Grand lecteur des Soufis et des poésies arabes, il subordonne ¬l'amour à une quête mystique et revisite et ravive les figures historiques de ¬l'âge ¬d'or) Hadj Kayenne, El Annabiya, Zomorda, Yeux Bleux', Babai le boxeur, Aldjiya, Khatem le jeune et beau proxènète, Hammoud judoka, Hayat En-Noufous, le riche «campagnard»... de tous les personnages du roman, Hadj Kayenne est le plus complet, à la fois par la connaissance qu'on a de sa vie passée et présente et le seul à bénéficier d'une réelle épaisseur psychologique. On le voit se retirer au cimetière pour goûter au haschich et attendre des rêves où l'histoire lui donne à voir de grands personnages de l'histoire antique et de la civilisation musulmane comme le poète Abou Tayeb El Moutannabi pour ne prendre qu'un exemple. Même si les autres personnages sont plus rapidement esquissés, un magnifique scénario de film... ou même dans un pays moins pudique, de théâtre.