Si vous voulez lire de la bonne propagande anti-américaine, «
les carnets de Guantanamo » de
Mohamedou Ould Slahi, livré par Thierry Siems, est ce qu'il vous faut.
Présentés par ce journaliste à qui sont confiés les carnets rédigés par Mohamedou, incarcéré dans un camp de la prison la plus tristement célèbre à Cuba, et publié en 2015 alors que son auteur y croupit encore, les « carnets » offrent un récit détaillé du sort réservé à Mohamedou, ce Mauritanien soupçonné à tort d'être à la tête de grands complots terroristes ourdis contre les États-Unis dans les années 2000.
Les cinquante premières pages sont consacrées à prouver l'innocence du détenu. Rassemblant divers documents déclassifiés par le gouvernement, divers comptes-rendus d'avocats, des audiences et un jugement d'un certain juge Robertson qui l'avait déclaré innocent avant que la présidence d'
Obama ne fasse renverser ce jugement en cour d'appel, le travail de Siems est convaincant. En tant que lecteur, on se range immédiatement du côté de Mohamedou. Dans cette perspective, on ne peut que s'insurger de ce qu'on retrouve comme contenu dans les cahiers. Âmes sensibles, s'abstenir ! Depuis son enlèvement illégal en Mauritanie, son pays natal, jusqu'aux privations sensorielles et aux agressions sexuelles à GTMO en passant par des prisons d'Afghanistan et de Jordanie, tout y est décrit ! On ne peut que s'offusquer de la brutalité des interrogatoires américains et se lancer dans des réflexions à propos de l'hypocrisie des valeurs occidentales. Les droits de l'homme, la justice, la liberté, tout est renversé par Mohamedou, le martyr, la victime parfaite de ce système qui carbure sur une logique de guerre absurde. Son témoignage est édifiant : il fait apparaître tous les paradoxes du soi-disant plus grand pays civilisé.
Or, Mohamedou, soumis aux pires sévices imaginables parce qu'il refuse de collaborer, relate son traitement avec tant d'intelligence, de force et d'esprit qu'il ne peut, à un moment donné, que nous faire douter, sinon de son innocence, du moins d'une certaine véracité.
Par exemple, on peut se poser la question à savoir comment les carnets ont-il pu être rendus publics malgré le secret et le silence entourant Guantanamo. Mais, les parties du manuscrit qui ont été caviardées sont là pour nous rappeler que justement, nous n'avons encore qu'un certain accès à la vérité.
Mais, attention...Ce caviardage finit par nous donner le tournis simplement à cause de l'effet visuel pervers que peuvent provoquer des bandes noires placés ça et là au fil de la lecture d'un si long texte. Plus on lit, plus on a l'impression de subir les effets barbares de la torture, comme si on perdait peu à peu la vue – les parties censurées sont comme des taches aveugles. Si cela peut jouer en la faveur de l'auteur, puisqu'on est tellement entré dans son point de vue qu'on finit par s'identifier, et on lit jusqu'à la fin, tenus en haleine, sans pouvoir prendre ses distances, cela peut aussi jouer, à la fin, contre sa crédibilité car dans cette optique, le caviardage relèverait davantage du procédé littéraire que de la véritable censure. Et, quand on y regarde de plus près, en effet, certains exemples sont flagrants, comme quand seule la fin d'un mot ou d'un pronom est censurée, nous laissant clairement deviner ce qu'on tente de cacher (en l'occurrence, la conjugaison au féminin).
Ne serions-nous pas tous des victimes d'un coup monté ?