Même cause, mêmes effets. En lisant cet autre roman de
Véronique Ovaldé (après Et mon coeur transparent, que j'avais adoré), je suis de nouveau sous le charme de son talent.
On retrouve ici l'ambiance un peu loufoque, un peu surréaliste, (on dirait presque du
Boris Vian, sauf que tout les éléments du décor restent très réels, normaux, banals... ce qui rend l'ensemble plus troublant encore).
On retrouve le style fluide, très imagé, très poétique, très évocateur (que ce soit pour les décors, les actions, les sentiments) et surtout très "dense". Autant certains auteurs savent cultiver le vide, autant
Véronique Ovaldé parvient à donner une sensation de plénitude : ses phrases semblent dessiner des tableaux dans lesquels tous les espaces sont travaillés, emplis de matière, mais sans surcharge, sans excès, avec harmonie et cohérence. Et le lecteur n'a plus qu'à se laisser porter par cette plénitude.
On retrouve aussi, dans ce roman comme dans le précédent (sorti après, mais que j'avais lu avant), un personnage égaré dans sa propre histoire, qui cherche à la comprendre et comprend de moins en moins au fur et à mesure qu'il cherche. Alors, il invente. Et on le suit.
En l'occurrence, le "chercheur" est une petite fille... enfin, un grande fille de quinze ans, mais qui en parait sept, tellement elle est menue. Elle vit au huitième étage d'un immeuble, dans une ville imaginaire en bord de mer. Elle élève des lapins sur le toit terrasse, ne va pas à l'école, mais "à l'Institut", un lieu plus adapté à des cas comme le sien (même si l'on ne sait jamais vraiment quel est son problème), elle dort dans un cagibi avec une minuscule fenêtre, et elle est surtout prise entre ses deux parents : Rose, sa mère, qui vient d'une ville froide du Nord et qui est d'une beauté exceptionnelle... mis à part son crâne entièrement chauve et boursouflé, qu'elle cache sous une perruque blonde ; et Monsieur Loyal, son père... qui n'est peut-être pas son père et qui travaille dans un cirque qu'elle n'a jamais eu le droit d'aller voir.
Tenue à l'écart de leur monde, par leurs mensonges bienveillants, par l'isolement qu'elle choisit (sur son toit), par celui qui lui est imposé (dans son cagibi ou à l'institut), la petite Rose (eh oui, la petite fille porte le même prénom que sa mère) est bien forcée de le réinventer, ce monde d'adultes qui se refuse à elle.
Alors, elle réécrit une histoire pour sa mère, pour ses deux pères (celui qu'elle croit être le faux et avec qui elle vit et celui qu'elle croit être le vrai, qu'elle n'a jamais connu et dont elle ne sait rien), une histoire parfois dure, parfois crue, souvent triste et, de temps en temps, parcourue de tendresse. Elle passe donc son temps à inventer, jusqu'à ce que la vraie histoire, la vraie vie, s'imposent à elle. Et la forcent à quitter l'enfance pour prendre sa place dans le monde. Assumer ses quinze ans. Et
déloger l'animal qui cavale dans sa tête. Comme nous le faisons tous, un jour ou l'autre. Même si certains, heureusement, savent lui garder une petite place pour qu'il revienne quand bon lui semble.
Lien :
http://sebastienfritsch.cana..