Comme chaque matin, Clémence versa de l'eau bouillante dans la théière et se rendit sur la terrasse du manoir. Encore en chemise de nuit, les cheveux en bataille, elle s'assit devant la table. Elle aimait prendre son petit déjeuner en écoutant les oiseaux du grand marronnier et des bosquets. Commencer la journée sans ce concert était un crime.
Elle se réchauffait en serrant le bol plein à ras bord entre ses mains. À sa grande déconvenue, rien ne se passait. Le jardin était silencieux. Elle se leva et retourna dans le manoir. Deux minutes plus tard, elle revint avec, dans les bras, un fusil de chasse. Elle l'arma et tira deux fois en direction d'un nuage dont la forme lui rappelait le visage de quelqu'un qu'elle n'aimait pas. Enfin réveillés, moineaux, mésanges et rouge-gorges s'envolèrent de partout. Les feuillages s'agitèrent. Les oiseaux, sitôt leur calme retrouvé, chantèrent et piaillèrent. Tout était rentré dans l'ordre, Clémence pouvait boire son thé. Ce lundi s'annonçait merveilleux.
Un inconnu, c'était quelqu'un qui ne l'avait pas encore déçue.
Pourtant, Clémence était une jeune fille étrange. On s'accordait sur ce point, sans en faire grand cas. Elle était étrange pour ses camarades, qui ne la voyaient pas participer à leurs activités, étrange pour ses professeurs et les adultes en général, car elle les regardait avec un air désolé comme s'ils avaient commis quelque bêtise. Et, sans se soucier des conséquences, elle n'hésitait jamais à dire ce qu'elle pensait.
Un jour, alors que la vieille dame mettait un tuteur à une branche d'ortie abîmée, elle avait dit quelque chose qui avait marqué Clémence : cela sert toujours de se battre, même si on est certain de perdre.
- Taisez-vous, avait-il répliqué. Je suis votre professeur : vous me devez le respect. Que cela vous plaise ou non.
- Je ne vois pas le lien entre respect et diplômes, avait répondu Clémence.
- Je suis plus âgé...
- N'importe qui est capable de vieillir.