Le repas reprit. Ses parents ne pouvaient s'empêcher de manifester une certaine fierté concernant leurs talents de comédiens. Séléna n'avait qu'un mot à l'esprit : ridicule. Mais elle était touchée de voir leur complicité enfantine. Ça lui faisait chaud au cœur. Au moins partageait-ils la même folie. C'est peut-être ça l'amour.
En tout cas, elle ne vivrait pas une vie qui ne serait pas la sienne, elle ne passerait pas à côté des choses qui comptent pour elle. Restait à savoir exactement ce qu'elles étaient, ces choses.
Séléna avait l'impression d'être un jardin qu'il fallait cultiver chaque jour : non seulement elle devait se brosser les dents, se laver, s'habiller, mais tout en elle était à construire. Elle ne voulait oublier aucun détail (chaussures, collants, robe, jupe, pantalon, veste, manteau). Après tout, elle n'avait pas choisi la couleur de ses yeux ni celle de ses cheveux, ni sa taille (un peu trop grande) et son front bombé. Le reste dépendait d'elle et il ne fallait pas tout rater.
Parfois, elle cédait à la tentation de s'habiller comme les autres. C'était un grand confort, car ainsi elle ne se faisait pas remarquer. D'autres fois, au contraire, elle imitait ceux qui méprisaient la mode. Mais la question demeurait : qui était-elle ? Quel style disait quelque chose de sa nature profonde d'adolescente de ce début du XXIe siècle ?
- Je serai astrophysicienne.
Si elle avait dit qu'elle voulait devenir stripteaseuse, ses parents n'auraient pas réagi autrement.
Il y eut un silence, lourd et long. Son père et sa mère se prirent la main, comme pour se soutenir devant l'épreuve terrible que leur faisait vivre leur fille.Leurs visages reflétaient un profond sentiment d'incompréhension et de trahison.
- Mais tu as tout pour devenir une artiste...dit sa mère, les larmes aux yeux.
Il faut être patient avec les parents. Ils ont peur de ne pas être parfaits. Ils subissent une pression sociale très forte pour faire de leur enfant l'être le plus doué et le plus charmant qui soit. Ils tentent de ne pas commettre les erreurs de leurs propres parents, et pour cette raison, en font d'autres. Dans ces conditions, ils ne peuvent que mal se débrouiller.