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Citations sur Manifeste incertain, tome 3 (21)

La vitesse devient inévitablement l’ennemi juré de la démocratie réelle. C’est dire que tout régime moderne est à sa manière foncièrement tyrannique : il faut faire vite, toujours plus vite. Si les nazis ont inventé le Blitzkrieg, la société civile les imitera avec succès.
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La gauche du temps de la République de Weimar a commis des erreurs irréparables. Quant à la gauche du Front populaire, il est désormais certain que ses jours sont comptés. La classe ouvrière et ses divers alliés ne sont pas en mesure de réaliser les aspirations du marxisme originel. Le temps des illusions est définitivement terminé : le fascisme est victorieux, le stalinisme est son complice –provisoirement.
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Enfant, je n’aimais pas rire. Je veux dire : je n’aimais pas participer au rire collectif. Le rire d’une tablée ou de la foule m’était pénible. […]
Je souriais d’un air gêné. J’étais gêné de tout : d’un geste d’affection ou de familiarité, d’un reproche, d’un compliment. D’où me venait cette gêne constante ? Quelque chose avait dû se passer dans ma petite enfance : l’étreinte trop forte de ma grand-mère, les caresses d’une tante. J’avais sûrement souri pour me dégager.
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Des bosquets brunâtres s'éparpillent sur les champs de terre, griffés par l'écharde des tracteurs. Au loin les éoliennes clignotent, que jalousent les pylônes accroupis, les vieux poteaux aussi, tirant sur leurs ficelles fatiguées. Parfois, et soudain, vus du train à pleine vitesse, des agglomérats de villas neuves, le bout d'une usine, un entrepôt, et puis, à nouveau, par-dessus un ourlet de boue, des arbres en hibernation, doigts écartelés sous le ciel mangé de ouate usagée à l'orée de janvier. Le monde se tait et nous sculptons son silence. Plâtres informes, squelettes de l'éloquence, nous comptons nos mots morts, agglutinés à la porte de la bouche.
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J'ai porté des bidons de résine synthétique

Un produit dangereux réputé asphyxiant

Qui sert à fabriquer des sols lisses et brillants

Dans les halls des cliniques, les salles de gymnastique

J'étais intérimaire, c'est-à-dire moins que rien

Celui que le patron peut toujours congédier

Sans que jamais ne bronche aucun des ouvriers

J'essuyais le mépris de ces frères humains


Au temps de ma jeunesse, j'étais un misérable

Me tuant à sécher le ventre des citernes

Avec de la sciure mélangée à du sable

Avant de tout repeindre d'une couleur si terne

Comme chauffeur-livreur, j'ai travaillé six mois

C'était une boucherie qui faisait abattoir

On entendait les bêtes, leurs cris et leur effroi

On sentait leurs carcasses pourrir au dépotoir


J'ai été couchettiste dans les wagons de nuit

Nous partions de Genève, nous allions jusqu'à Rome

Dans mon compartiment je caressais l'ennui

Pourtant j'étais parfois le plus heureux des hommes

Parmi les couchettistes nous étions quelques-uns

A louer une Vespa pour aller à la mer

Vers neuf heures du matin nous commencions à jeun

A boire de la bière et des liqueurs amères

Et puis nous repartions à la tombée du soir

Titubant jusqu'au train, au bras d'une Romaine

Elle nous offrait enfin un baiser sans histoire

Nous en gardions le goût au moins pour la semaine


De ces petits boulots, j'en ai fait des dizaines

Grouillot d'imprimerie, manœuvre de chantier

J'ai haï le travail et le monde ouvrier

Les ordres répétés, les hurlements obscènes

Et j'ai haï ma vie et tout ce temps perdu

Les journées fatigantes et les nuits provisoires

ces heures désolantes, ces gestes dérisoires

Tous ces mots étouffés et ces malentendus


Je me revois aussi dans le Quartier latin

Crevant de solitude et recherchant quelqu'un

Un regard, une voix, dans le petit matin

Des mots de rien, de peu, même des lieux communs

Je voulais qu'on me parle de la pluie, du beau temps

Et des banalités qu'on se dit au comptoir

Devant un verre de vin pour faire durer l'instant

Ou bien les yeux mouillés sur le bord du trottoir
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L'homme va sur la route. Il est seul. Le ciel est pâle, qui s'abaisse sur les champs découpés par des rangées de bosquets. Des corbeaux croassent dans le geignement du vent. L'homme vient du village. Il va on ne sait où. Peut-être jusqu'au village voisin, peut-être jusqu'au ruisseau ou dans la forêt épaisse. Peut-être va-t-il à la grande ville couchée sur le bord du fleuve qui expire dans la mer.

Et s'il n'y avait pas de route ? Ni chemin ni sentier ? Si le village s'arrêtait à son dernier mur ?

Le village est de pierre, d'un bon caillou gris qui a fait l'église, la mairie, l'épicerie, le salon de coiffure. Sans oublier quelques briques pour l'école et plusieurs maisonnettes alignées sur la rue. Et des parpaings pour le snack-bar. Le snack-bar : là où tout se dit, et tout se tait. Le rendez-vous de la société. Au bout du village, il y a encore le cimetière, où chacun finit sa route. Mais il n'y a pas de route. Au bout du cimetière, il n'y a plus rien. des prairies, des broussailles, des bois à perte de vue.
Après commence le néant.
Le village a perdu sa route et la route, c'était le début du monde. Un village sans route, c'est un village sans monde. Impossible d'aller ni de revenir. On est suspendu sous le clocher de l'église, à attendre une heure qui ne sert à rien, puisqu'il n'y a nulle part où aller et venir, hormis les deux pas qui séparent le salon de coiffure du snack-bar. On oublie le quart d'heure qui vient de passer. On oublie le passé le plus proche. On oublie le passé lointain. On ne veut rien savoir du lendemain, ni de n'importe quel jour qui vient, puisqu'il n'y a pas de route, puisqu'il n'y a rien qui mène hors du village.

L'époque actuelle ressemble à ce village. Ce n'est pas la route qui manque, mais un passé et un avenir. L'époque ne connaît que son présent, un présent expulsé de son passé et privé de son avenir, ou, selon l'expression de Walter Benjamin : " un temps homogène et vide" . Il n'y a plus d'hier. Il n'y a plus de lendemain. seul subsiste le jour d'aujourd'hui, qui fait place au jour suivant qui oubliera le jour d'hier.
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La voix des maîtres et des vainqueurs meurt dans le silence des vaincus. L’Histoire officielle qui est la leur, cette Histoire de la « putain il était une fois » -dit Benjamin- est une Histoire sans habitants, une Histoire des absents. Il y manque le corps, la chair, la substance.
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Automne 1934. – Hitler effectue sa première visite officielle en Italie. Afin de l’impressionner, Mussolini a fait construire de fausses façades d’immeubles modernes le long de la voie ferrée, un kilomètre avant Rome.
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Louis XVI, le jour de la prise de la Bastille, a écrit dans son journal : « Rien ».
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Cesare Pavese note,le 3 juillet 1940 dans _Le métier de vivre_:"Toutes ces histoires de révolutions,cette envie de voir se produire des évènements historiques,ces attitudes monumentales,sont la conséquence de notre saturation d'historisme,et c'est pour cela que,habitués à traiter les siècles comme des feuilles d'un livre,nous prétendons entendre la sonnerie de l'avenir chaque fois que braie un âne"
Maintenant,l'insatisfaction change de visage,elle ne se farde plus.Elle gagne toute la société.On la montre du doigt,on la traîne sous les feux des médias,on se fait compatissant,consolant,guérissant:elle n'a toujours pas ses mots à elle.Mais elle a ses truqueurs,qui se jettent sous la lumière de l'instant dévoré qu'on appelle l'actualité.Comédiens du pouvoir,experts en tous genres,amuseurs du moment,ils errent dans les cabines de maquillage,la face rongée par le fond de teint. Leurs narines ne sentent plus rien de l'odeur du désastre. Tout leur est inodore,et c'est cette insensibilité qu'ils s'évertuent à jeter à la face du public,dans la lumière fausse d'un plateau télévisé. Tels des spectres vidés de leur viande,ils implorent des applaudissements.
J'écrirai bientôt à propos de la bassesse humaine.Par quoi commencerai -je? Par le bonheur.
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