Il y avait quelques lumières sur la mer – ou la terre encore- , et ce dernier scintillement, pareil à celui d’une petit palme à moins que ce ne soit qu’un reflet dans le hublot, qui semblait m’appeler, me dire adieu, témoignait, avant de disparaître dans la nuit, que j’étais revenu avec la seule intention de leur dire mon amour.
La ville était plus silencieuse après la dernière séance de L’Amour du diable. Les islamistes avaient fini par s’incliner, par refluer dans la soirée avec les pancartes abandonnées, leur slogans éteints, Satan semblait , cette fois, leur avoir échappé, comme disparu dans l’immensité derrière l’écran, il ne restait dans l’air que leur désir plus ou moins satisfait, de traquer tout ce qui leur paraissait sacrilège et, dans les rues, quelques illuminés égarés qui ne savaient même plus contre quoi ils s’étaient élevés.
Ce voyage de retour en Algérie que j'avais tellement différé,tant imaginé,la vie me l'avait accordé,mais en partie seulement,tel un extrait du film en première exclusivité qu'on annonçait pour la semaine suivante et que je ne verrais jamais.
Le grand écran aspiré, coupé, fendillé de tous côtés comme par un déferlement de vautours d'acier excités par ce qui restait de blanc. (p.60).
...les nuages des dernières sauterelles de juin--celles qui suivaient,les plus lentes,amoindries,déclinantes,inoffensives,comme lassées de ravager,aux élytres grisâtres,sèches,vieillies,presque transparentes,sans les couteaux des ailes émoussés par les années de ciel et d'invasion de la terre,et qu'on n'avait même pas envie de rattraper,faibles,impuissantes,même pas capables de s'infiltrer,de profiter des coins, des angles ou des lattes disjointes,de passer sous les bourrelets de tissus cloués au bas des portes-fenêtres,renonçant à avancer,à gratter,à fendiller le sol,désorientées,aveugles,dissociées,presque une à une,résignées,demandant seulement à être recueillies pour ne plus avoir à s'élancer et à détruire les blès,les oliviers,les rails ou les coquelicots,venant mourir ensemble dans le quartier,devenant un parterre d'ailes noires et de grésillements sur le point de s'éteindre,comme précédant,accompagnant le deuil du pays entier,descendues vers les terrasses comme vers la dernière halte,le dernier quai,la dernière part de terre où elles se regroupaient,qu'elles avaient épargnée malgré elles,ces sauterelles perdues,oubliées,à leur tour victimes,peut- être rejetées,éliminées par les tourbillons implacables,la vitesse sans pitié de toutes celles qui,royales,cuirassées,unies,assourdissantes et tueuses,avaient déjà atteint,dans leur armada noire qui emplissaient le ciel et chassaient le soleil de juillet,à peine visible,réduit à un halo d'hiver,le littoral et la mer où elles finissaient par disparaître.
Les clandestins, qui, après avoir longtemps erré, venaient s'y réfugier, grelottants, muets, apeurés, ne sachant même plus avec qui ils avaient marché ou navigué pendant des jours, avec ces couvertures qu'ils gardaient sur les épaules, même s'il faisait moins froid, avec leur maigreur digne de princes égarés. (p.88-89)
Il rentrait, effacé, avec sa modestie concentrée, ayant trop appris à ne pas espérer de trophée pour se réjouir aujourd'hui de l'avoir emporté [...] (p.87).
-disais-je avec une obstination désespérée, cette détermination suspecte, cette fermeté étrange qui n'était que l'exorcisme du regret. (p.10).