Je n’ai encore jamais regardé la télévision en journée et en zappant d’un programme à l’autre, je tombe sur une chaîne de téléachat. Je reste dessus un moment, émerveillée par tous ces gadgets dont j’avais besoin sans même savoir qu’ils existaient, [...].
Je me souviens de maman et de sa bouilloire, et je me remets à pleurer à chaudes larmes.
Combien de temps avant que je ne sache même plus me faire une simple tasse de thé ? Combien de temps avant que je sois incapable de m'habiller seule ?
[...] j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai googlé « amnésie périodique », ce qui m’a redirigé vers « ictus amnésique ou amnésie globale transitoire ». Bien que le terme m’ait été familier, à cause de maman, mon cœur se serrait un peu plus à chaque ligne que je lisais, et j’ai vite quitté la page, essayant d’étouffer la panique qui montait en moi. Je ne sais pas si c’est ce que j’ai, et surtout, je ne veux pas le savoir. Pour l’instant, mon ignorance me préserve.
L' Adrénaline surgit, me pousse dans le bureau, dissipe la panique qui m'aveugle pour que je puisse scruter la rue, au-dehors, et constater qu'elle est vide. Le Soulagement s'avance mais la Peur , qui n'aime pas la défaite , me rappelle que ça ne veut pas dire que l'assassin n'est pas là. La Terreur prend les commandes et sème sur ma peau de minuscules perles de sueur. Je veux appeler la police mais quelque chose, la Raison peut-être, me dit que même si des policiers devaient venir fouiller le jardin, ils ne le trouveraient pas. Il -mon persécuteur - est bien trop intelligent pour ça.
Pourquoi ? Pourquoi ai-je fait ça ? Parce que j'ai oublié ? Ou parce que ça m'a permis de repartir, la conscience tranquille ? Hé bien ma conscience n'est plus tranquille, maintenant. Je l'ai abandonnée à son destin, je l'ai laissée se faire assassiner.
Mais qu'est ce que tu prends, bon sang ? Des antidépresseurs ?"
Je hausse les épaules . " Je dirais plutôt des suppresseurs d'imagination.
- On t'a diagnostiqué un Alzheimer précoce ?
- Non, pas encore. Je suis censée aller voir un spécialiste mais je vais sûrement oublier d'y aller." Nous nous mettons à rire tous les deux, et je ne peux plus m'arrêter.
La peur et la culpabilité sont devenues des compagnes si familières que j'ai oublié ce que c'est que de vivre sans elles.
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Mais c'est comme faire exécuter le porteur de mauvaise nouvelle : j'ai du mal à lui être reconnaissante alors qu'il vient de m'ôter mon dernier espoir, l'espoir que mes défaillances de mémoire viennent d'autre chose que la démence.
La peur et la culpabilité sont devenues des compagnes si familières que j’ai oublié ce que c’est de vivre sans elles.