Ca ne vous est jamais arrivé de vous demander si vous ne commenciez pas à perdre un peu la tête ?
D'oublier un anniversaire, un rendez-vous important, une course à faire ?
D'être incapable de vous souvenir de votre mot de passe ( parce que vous êtes pourtant sûr que c'est celui-là ), de ne plus vous rappeler ce que vous avez mangé la veille, de ne pas remettre la main sur un document administratif urgent, normalement classé précisément dans ce classeur ?
Moi mon truc c'était la porte d'entrée. Quand je travaillais en région parisienne, j'avais la chance de pouvoir me rendre au bureau à pieds, situé à seulement dix minutes de marche. Et très souvent, durant le trajet, une petite voix insidieuse me demandait "Est-ce que tu es sûr d'avoir bien fermé ta porte ?"
Alors je faisais demi-tour, je constatais que la porte était effectivement verrouillée, et je me remettais en route.
Quand j'avais de la chance, j'y pensais durant les deux premières minutes, et d'autres fois quand j'étais quasiment arrivé.
Alors plutôt que de passer ma matinée entière à stresser, j'y retournais quand même.
Pas une seule fois lors de cette bonne centaine de demi-tours effectués je n'ai trouvé ma porte laissée ouverte.
C'est le souci des gestes machinaux, ils le sont tellement qu'on les fait sans y penser, et quand il faut s'en rappeler c'est tout bonnement impossible.
Cassandra Anderson a elle aussi des problèmes de mémoire à court terme. Rien de bien méchant, elle va par exemple oublier de passer à la blanchisserie pour récupérer le costume de Matthew, son cher et tendre époux.
"Tu sais que tu es la femme de ma vie ?"
"Tu es vraiment le meilleur mari du monde."
Un couple bien plus charmant et amoureux que celui que formaient Grace et Jack dans Derrière les portes, le premier roman de l'auteure, et dans lequel l'épouse était devenue la proie d'un manipulateur narcissique.
Un soir d'orage, la vie de Cassandra va cependant basculer. Et sa mémoire avec.
En rentrant chez elle sous une pluie diluvienne, alors qu'elle était presque arrivée, elle va hésiter à s'arrêter : Une femme est à l'arrêt dans sa voiture, et a peut-être besoin d'aide. Cassandra hésitera mais ne prendra cependant pas le risque de descendre de son véhicule.
Le lendemain, elle apprendre que cette femme a été égorgée, et qu'en outre il s'agissait d'une de ses amies, Jane Walters, une jeune maman.
"L'horreur que je ressens n'a d'égale que la culpabilité qui m'oppresse, m'étouffe."
La descente aux enfers de Cass peut alors commencer. Incapable de se pardonner de ne pas avoir secouru cette femme en détresse, elle ne parlera cependant à personne de sa présence sur les lieux du crime mais laissera les remords et les reproches ronger sa conscience.
"N'importe qui s'arrêterait en voyant quelqu'un qui a des ennuis, non ?"
Dans ce contexte anxiogène, Cass se met à sombrer doucement dans la paranoïa, la dépression, l'hystérie, et ce malgré la gentillesse de son époux ou les conseils avisés de ses amies Hannah et Rachel.
A cela deux raisons principales :
- D'abord, les appels silencieux qu'elle reçoit quotidiennement et dont elle se persuade, contre toute logique, qu'ils émanent du tueur et qui la paralysent totalement.
- La seconde raison, ce sont ses trous de mémoire.
"Tu deviens folle, psalmodie une voix dans ma tête. Tu deviens folle."
Ce sont de petites choses au départ, et le lecteur est d'ailleurs parfois témoin de ses légères défaillances, comme oublier de refermer une fenêtre ou prendre un verre avec ses collègues.
Mais plus les jours passent et plus ses souvenirs lui échappent, plus sa mémoire se transforme en gruyère.
A-t-elle hérité de la même démence précoce dont souffrait sa mère ? A trente-quatre ans seulement, a-t-elle les premiers symptômes d'un Alzheimer prématuré ?
Par exemple, elle ne se rappelle plus avoir invité ses amis pour un barbecue, ni d'avoir signé le contrat permettant l'installation d'une alarme à domicile, et encore moins du code qu'elle a elle même choisi pour désactiver celle-ci.
Elle est également incapable de retrouver sa voiture là où elle était pourtant sûre de l'avoir garée.
"Oh ! J'ai complétement oublié !"
Et c'est de pire en pire. Son époux, qui la soutenait tellement au départ, en devient parfois irritable : Pour lui tout est dans la tête de sa femme et elle doit voir un médecin si elle veut aller mieux et faire la part des choses.
"Toutes tes angoisses n'ont absolument aucun fondement, aucun !"
Tout l'intérêt du roman se situe dans cette lente et progressive plongée en plein cauchemar, décrite avec minutie par BA Paris, qui malmène son héroïne de plus en plus violemment.
En perte de repères, Cassandra passe d'un sentiment de culpabilité à une paranoïa obsessionnelle, des crises d'angoisse terribles et on est vraiment dans une escalade progressive vers la folie parfaitement maîtrisée par l'auteure.
"La peur et la culpabilité sont devenues des compagnes si familières que j'ai oublié ce que c'était que de vivre sans elles."
La réalité de Cassandra se dérègle si totalement qu'elle ne pourra plus sortir et que rester seule chez elle la terrorisera. Jusqu'à ce que la seule solution pour faire face à cette lourde dépression, à ces crises de démence, soient une lourde médicamentation. S'assommer devient la seule alternative pour endurer les affres de tels tourments.
A ce niveau, le roman est une totale réussite. Absolument pas axé sur l'enquête du meutre de Jane Walters, celui-ci s'avérera être une simple toile de fonds qui stimulera les défaillances de notre attachante héroïne, et sur laquelle viennent se greffer des pertes de mémoire de plus en plus graves et ces fameux appels téléphoniques ...
Quelqu'un profite-t-il de sa fragilité ? Qui et pour quel motif ? Et quel est le rapport avec l'assassinat de son amie ?
Comment remonter la pente ?
La décadence du personnage de Cassandra est parfaitement amenée, et en cela je conçois que BA Paris soit désormais perçue comme l'une des grande stars actuelles du thriller psychologique.
J'adore personnellement ces histoires où le personnage principal perd pied avec la réalité, son existence devenant comme un mirage.
Impossible de lâcher ce bouquin avant de connaître le fin mot de toute cette histoire et de pouvoir relier les éléments les uns aux autres. de découvrir l' identité du meurtrier, ou de la personne qui semble jouer avec les nerfs de notre héroïne.
Le tout étant servi par une plume très agréable et bien retranscrite par la traduction de Vincent Guilluy.
Et pourtant, je ressors un peu partagé par cette lecture qui, si elle m'a fait passer un excellent moment, m'a également laissé perplexe plus d'une fois.
Tout le talent de cette subtile mise en scène perd de son impact quand par ailleurs l'auteur se sert de grosses ficelles, voire de gros sabots, pour conclure son roman. La finesse psychologique côtoie de grosses maladresses scénaristiques, ce qui a quand même partiellement gâché mon plaisir. Je cite quelques exemples ci-dessous, mais ne les lisez que si vous avez déjà lu le roman ou n'avez aucune intention de le faire un jour.
Tout d'abord, en ce qui concerne l'incapacité de Cassandra à se servir désormais du lave-linge, de la cafetière ou du four à micro-ondes, il faut quand même qu'elle en tienne une sacrée couche pour ne pas se rendre compte que son électroménager a été modifié et préférer croire que sa maladie est responsable de son incapacité à repérer les bonnes commandes.
Ensuite, je trouve très improbable, alors qu'une grande partie de ses trous de mémoire concerne des achats qu'elle ne se souvient pas avoir effectués, qu'à aucun moment elle ne songe à consulter ses relevés de compte afin de vérifier quelles dépenses elle a ou non réellement effectuées.
Enfin, la façon dont le second portable de son amie arrive entre ses mains tient tellement de l'improbable que ça en devient risible. D'autant plus qu'aucun SMS, pourtant des plus compromettants, n'en n'a été effacé, livrant à Cassandra toute la vérité sur un plateau d'argent.
Il y avait tellement mieux à inventer pour rendre cette histoire crédible jusqu'au bout !
En résumé, un roman dont la lecture a été vraiment agréable, qui fait passer un excellent moment et donne même parfois quelques sueurs froides tant est bien reconstituée la plongée dans les abysses de la folie ... Mais qui laisse quand même un petit arrière-goût amer avec les pirouettes effectuées par BA Paris au moment de conclure son roman.
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