Versailles se réduisait à un immense tapis vert où chacun misait quotidiennement son existence dans l’espoir de tirer un jour la bonne carte.
Richelieu, non content de se faire annoncer par l’odeur insoutenable des parfums dont il s’inondait, traînait après son char plus de femmes déshonorées que paris ne comptait de cocus.
Un homme l’inquiétait particulièrement, c’était le duc de Richelieu, dont l’ambition politique n’avait d’égal que le priapisme. Ce fou usait de son nom comme d’un brevet de gouvernement, prétendait à tout avec une insolence et un aplomb qui révulsaient le vieux manœuvrier passé maître dans l’art de dissimuler et de feindre depuis le grand séminaire.
L’appartement situé au premier étage de l’aile neuve jouissait d’une vue magnifique sur les jardins et offrait l’avantage d’être de plain-pied avec le salon de la chapelle. Au sortir de la messe, il suffisait à Sa Majesté de quitter sa tribune pour se rendre au chevet de celle qu’il aimait malgré son peu de beauté, une allure de grenadier et l’odeur forte des femmes au gousset fin.
Château de Versailles, vendredi 8 septembre 1741
Le masque de la mort intriguait toujours le roi, mais le voir se poser ainsi sur le visage de sa maîtresse l’affligeait sincèrement, car Sa Majesté n’aimait pas souffrir. Au sortir du grand couvert, dont la durée lui fut un supplice, l’amant s’était aussitôt substitué au monarque, et les ordres distribués pour que son souper soit servi au pied du lit de la pauvre malade, installée par commodité dans le bel appartement du grand aumônier de France, le cardinal de Rohan-Soubise. C’est là qu’une semaine plus tôt la favorite avait donné naissance à un enfant mâle qui ne devait rien à son mari, le marquis de Vintimille, neveu de monseigneur l’archevêque de Paris. Tout cela accablait de bien des ridicules ces princes de l’Église, mais le roi s’en moquait.
Le masque de la mort intriguait toujours le roi, mais le voir se poser ainsi sur le visage de sa maîtresse l’affligeait sincèrement, car Sa Majesté n’aimait pas souffrir.
Jamais Louis ne s’était trouvé face à une telle résistance ; il se consumait, elle s’éventait, il se désespérait, elle souriait, il grondait, elle pouffait. La jeune femme n’abandonnait même pas le bout d’un téton, car elle avait d’abord des exigences qu’elle entendait voir satisfaites avant de satisfaire à celles du roi.
Le vent de la disgrâce ne se levait plus, il soufflait maintenant à mettre le plus grand désordre dans les boucles joliment disposées de bien des perruques poudrées.
Le roi, touché par tant de discrétion, fit alors dire à son ancienne favorite qu'elle serait désormais plus agréablement logée dans un bel appartement de l'hôtel de Longueville, rue Saint Thomas du Louvre, dont il prenait le loyer et les frais d'installation à sa charge. C'est dans les écuries de ce même hôtel que l'on remisait les vieux coches qui avaient fait le service de Versailles, et Marie-Anne trouva très amusant l'idée d'y reléguer aussi sa sœur.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il aimait la fréquentation du pouvoir, car, avec lui, ce qui était prévu n’arrivait jamais et l’imprévu, au contraire, était toujours certain. Versailles se réduisait à un immense tapis vert où chacun misait quotidiennement son existence dans l’espoir de tirer un jour la bonne carte.