Il y a aussi Chien, il est comme l’animal, il ne sait pas parler mais il comprend tout, son nez est humide. Brille fait la roue pour imiter les éoliennes, il tombe au plus près des brins d’herbe. Il n’a plus sa vraie famille mais il a retrouvé une mif, il parle fort et il parle trop, il les appelle kho, il leur dit à chacun, l’un après l’autre, je t’aime, Chico. Ça fait longtemps qu’il n’a plus dit qu’il aimait. Trogne a du mal à rouler sur l’herbe mais elle fait tourner son fauteuil, très vite, de plus en plus vite, elle tourbillonne, elle est ivre de sa propre vitesse.
Les enfants les plus jeunes frissonnent, leurs aînés cachent mieux leur angoisse sous les blagues et les forfanteries. À ce moment ceux qui jouent loin se rapprochent, les minots se pressent. Ils craignent les monstres des contes, les animaux dévoreurs d’enfants, même ceux pour qui le mal douloureux se niche dans leur pauvre poitrine. Ce moment-là est une trêve, il y a peu de batailles, les strongues et les bitches se retrouvent autour de leurs tables respectives dans le réfectoire.
Les gardes forestiers, sans se concerter, cessent de courir. Ils sont fatigués, ils ne savent pas où aller, pas de refuge pour eux ici. Ils ne peuvent pas se blottir dans un terrier, se cacher derrière un tronc, encore moins monter dans un arbre. Les autres les entourent et les pressent.
Ils sont deux à courir éperdus dans cette forêt qu’ils connaissent mal, ils savent qu’ils seront rattrapés et ils ont peur.
L’histoire n’est pas une longue ligne droite, une marche en avant, ce sont des allers-retours, il y a du sens dans l’histoire mais pas un sens de l’histoire. Il ne faut pas croire les progressistes fanatisés, les dogmatiques de l’avenir radieux ou de l’Apocalypse, les naïfs du futur : au contraire il y a des soubresauts, de grandes reculades, des tête-à-queue.
Au cœur de ce conflit, il y a la forêt, c’est classique : Marx, le vol du bois, texte dans lequel il dénonce l’interdiction de ramasser du bois mort. Les maîtres des forges veulent contrôler la forêt, les pauvres profiter de ses ressources comme bon leur semble. Les maîtres parlent de velours mais ils agissent en brutes, ils mettent des gardes forestiers pour empêcher la coupe de bois et la chasse, des charbonniers qui brûlent des pans entiers de forêt. Bien sûr, ça se passe mal. Au-dessus il y a le gouvernement provisoire, provisoire parce que la situation est instable, de toute façon il est loin, ce gouvernement, un préfet qui loge dans la grande ville fait un petit tour de temps en temps. Le gouvernement, il soutient les puissants, il est fait par eux