Mais moi je ne la trouve pas si sage, et moins elle l'est, plus je l'aime.
Je guette ses secondes de folie, les éclairs durant lesquels elle quitte la route et s'envole pour quelques minutes. Elle me fait penser à ces cerfs-volants que je vois l'été devant l'océan (...) Le plus beau cerf-volant est celui dont on coupe le fil et qui part vers le firmament. (p. 50)
Ecouter la belle voix d'une femme au téléphone est une des multiples faveurs que la vie moderne nous accorde, un délice de chaque seconde, rien à regarder, rien à toucher d'autre qu'une insaisissable partie de cette femme : sa voix. (p. 29)
« Nous parlons pendant des heures, des après-midis, quasiment des journées entières. Avec elle, c’est l’exercice complet et parfait de la conversation française, profonde, diverse, sincère, érudite, libre, didactique, tentatrice, réservée, tacticienne, débridée et pourtant extrêmement codifiée, la parole courtoise par définition, nous parlons de presque tout, ses souvenirs, mes souvenirs, ses amants, mes maîtresses, un peu de sexe survolé, un jeu complexe d’approches et d’éloignements, d’écarts, de circonvolutions et d’extrême plaisir intellectuel. Nous nous décrivons nos royaumes respectifs, et chacun de ces pays est un délice pour l’autre. Nous nous faisons la cour mutuellement. La conversation française est bel et bien une forme de pratique érotique. » p. 41
« Elle veut se mettre à écrire et me demande donc comment font les romanciers débutants, quelle formation ils doivent suivre. Je lui réponds : Ils apprennent tout seuls. Elle m’interroge sur les ateliers d’écriture. J’éclate de rire : Si elle veut se faire voler son argent, son temps et son style, libre à elle. Je luis dis que l’écriture c’est comme le corps, il est à soi et est unique, il faut le protéger et surtout le découvrir seul. Je pense au fond de moi-même : l’écriture c’est comme la sexualité, mais je ne le dis pas. » p. 16
Elle adore ce parc, il est à deux rues de chez elle, elle y va tous les jours, elle ajoute : "C'est mon jardin personnel, mais je le prête volontiers à tous les parisiens", et elle rit. Je suis d'accord. Je suis toujours d'accord avec elle. Tout ce qu'elle veut, je le veux aussi.
Je lui explique qu’elle est double, une janusienne, le visage partagé entre un côté angoissé et un côté insouciant. Je lui dis que je préfère de loin sa face exaltée, mais que, parce que je l’aime tout entière, j’aime aussi sa face angoissée, je préfère l’été mais l’hiver est une partie du tout.
Je sais qu’elle est comme un moineau craintif, elle en a parfois l’allure, un oiseau fragile, magnifique et miraculeux, qui s’est posé sur une branche à quelques mètres de moi, et qui m’écoute vivre, ou plus exactement qui m’écoute dérouler une suite de mots gracieux, des phrases sonores et douces, des variations pleines d’allitérations, et ce moineau n’a plus peur de l’énorme être humain, si dangereux dés qu’il se trouve si près de lui, ce moineau ne rêve que d’une chose, pouvoir lui parler et que tous deux se comprennent enfin. Mais je sais aussi que si je m’arrête de prononcer mes douces, belles, et régulières phrases, et surtout si je bouge, si je fais un seul geste brusque, le moineau sera effrayé et quittera sa branche pour toujours. Oui, elle est comme un moineau, je ne dois pas l’effrayer si je veux que nous puissions rester proche le plus longtemps possible.
Elle sort peu, mais elle aime aller au restaurant. Parler sans fin en mangeant est également un de mes grands plaisirs.
Elle veut me dire que plus je serai proche, plus elle restera loin, et plus ce sera délicieux, tant pour elle que pour moi.