Citations sur Avant que le coq chante (56)
Assis contre le lit, Stefano alluma une cigarette, tout en l’écoutant. Il était étrange que ces paroles chagrines s’élevassent du corps que recouvrait la jupe sombre. Tout en surveillant la casserole sur le feu, Elena se plaignait du mari qui avait été le sien : mais Stefano ne pouvait pas accorder ses regards, sa voix hésitante au souvenir de leur blanche intimité. Dans le doux parfum caprin qui montait du fourneau, Elena se faisait tolérable, devenait une femme quelconque mais bonne, une présence résignée et inapte à être aimée, comme les poules, le balai ou une bonne. Si bien que, dans l’illusion qu’il n’y eût entre eux que ces épanchements modestes, Stefano parvenait à participer à la conversation et à jouir en son cœur d’une paix inespérée.
Personne ne peut faire sa maison d’une cellule, et Stefano sentait toujours, autour de lui, d’invisibles cloisons. Parfois, pendant qu’il jouait aux cartes au bistro, parmi les visages cordiaux ou absorbés de ces hommes, Stefano se voyait seul et précaire, douloureusement isolé, au milieu de ces comparses provisoires, par ces cloisons invisibles. L’adjudant, qui fermait un œil et lui laissait fréquenter le bistro, ignorait que Stefano, à chaque souvenir, à chaque gêne, se répétait qu’en somme ce n’était pas là sa vie, que ces gens et ces paroles plaisantes étaient aussi loin de lui qu’un désert, et qu’il était, lui, un confiné, lequel un jour rentrerait chez lui.
Les filles buvaient plus que moi. Elles étaient quatre. J’entends parler Miliota, celle qui portait à boire aux animaux. A vingt ans, elle avait la peau d’un homme de quarante : la même couleur que l’assiette épaisse dans quoi j’étais en train de manger. Elles avaient presque toutes les pieds nus, et sous la table, je gigotais dessus, aucune n’avait l’air de s’en apercevoir. La boustifaille, c’est une espèce de grand-mère qui nous la distribuait, c’était la mère de toute cette piétaille, Talino y compris, elle faisait le tour de la table pour remplir les écuelles de ses petits-fils ; on lui disait : « Asseyez-vous donc, mère », parce qu’elle geignait en se penchant et se cognait toujours à quelqu’un.
Cette guerre dans laquelle je vivais réfugié, convaincu de l'avoir acceptée, de m'en être fait une paix sauvage, devenait féroce, mordait plus profond, arrivait aux nerfs et dans le cerveau.
Inutile de pleurer. On naît et on meurt seul.
Je n'avais pas de tristesse, je savais que pendant la nuit la ville pouvait être la proie des flammes et les gens mourir. Les ravins, les maisons et les sentiers se seraient éveillés au matin, calmes et inchangés.
incipit de La casa dans les collines
Dans le temps, on disait la colline comme on aurait dit la mer ou les broussailles. On y revenait le soir, depuis la ville qui s'obscurcissait, et pour moi ce n'était pas un lieu parmi les autres, mais un aspect des choses, un mode de vie;
Incipit
Stefano savait sue ce pays n'avait rien d'étrange, que les gens y vivaient, jour après jour, que la terre s'abandonnait et la mer était la mer comme sur une plage quelconque. Stefano appréciait la mer. E n y arrivant, il l'imaginait comme le quatrième mur de sa prison, une vaste paroi de couleurs et de fraîcheur dans laquelle il aurait pu s'enfoncer et oublier la cellule.
Je me souviens que ni moi ni lui ne nous retournâmes pour regarder la Prison.
Je n'eus pas peur. Je ne sentis pas mon cœur éclater. Ce coup, je l'attendais depuis des mois. Ou alors c'est que, quand une choses commence pour de bon, elle effraie moins parce qu'elle supprime toute incertitude.