Le Métier de vivre

Et maintenant. Tout arrive à la fois. Vraiment il sera donné à celui qui a. Mais celui qui a ne prend pas. Vieille histoire.

L'amour est vraiment la grande affirmation. On veut être, on veut compter, on veut, si l'on doit mourir, mourir valeureusement, avec éclat, rester en somme. Et pourtant la volonté de mourir, de disparaître en lui, est toujours lié à lui : peut-être parce qu'il est si tyranniquement vie que si l'on disparaissait en lui, la vie serait encore plus affirmée ?

Comment posséder sans être possédé ? Tout dépend de cela. De la conversation de ce soir, il résulte clairement que moi je suis possédé parce que je me plais à jouer le rôle intéressant de l'homme possédé. Je dois jouer celui, impassible, du maître. Je serai aimé davantage. C'est seulement ainsi que je serai aimé. Mais y prendrais-je encore du plaisir ? Toutes les fois que c'est moi qui ai possédé, je n'y ai pas éprouvé de plaisir. Vieille histoire.
Il faut être possédé sans le laisser voir.

Le fait que tu es devenu cette étrange bête. Un homme fait, un nom qui fait autorité, un big. Où est passé le jeune garçon qui se demande comment on fait pour parler, l'adolescent qui se ronge et pâlit en pensant à Homère et à Shakespeare, le jeune homme de vingt ans qui veut se tuer parce qu'il est chômeur, l'homme trompé qui serre les poings en se demandant s'il pourra jamais confondre sa bien-aimée par sa grandeur ?

Au fond, le plaisir de baiser ne dépasse pas celui de manger. Si le plaisir de manger était interdit comme l'autre, toute une idéologie serait née, une passion du manger, avec des normes chevaleresques. Cette extase dont on parle, le fait de voir, le fait de rêver quand on baise, n'est rien de plus que le plaisir de mordre dans une nèfle ou dans une grappe de raisin. On peut s'en passer.

Est superstitieux celui qui croit encore en un mythe qui a déjà été dépassé par l'histoire, qu'il y a désormais les moyens de dissiper. Celui qui brandit un mythe et qui ne croit plus est un hypocrite, un réactionnaire.

La culture doit commencer par le contemporain et le documentaire, par le réel, pour remonter, si c'est possible, aux classiques.
Erreur humaniste : commencer par les classiques. Cela habitue à l'irréel, à la rhétorique, et, en définitive, au mépris cynique de la culture classique, d'autant qu'elle ne nous a rien coûté et que nous n'en n'avons pas vu la valeur (la contemporanéité avec leur époque).

"Un païen d'avant le Christ peut faire son salut s'il se conforme au bien naturel."
Alors à quoi sert la révélation du Christ ?
a) Si celui qui l'entend et la pratique a plus de mérite que celui qui ne l'entend pas, alors c'est une injustice.
b) Si celui qui ne l'entend pas mais pratique le bien naturel a le même mérite, alors elle est inutile.

Le plaisir, l'un des plus authentiques, de s'apercevoir que quelqu'un est contraint de choisir, qu'il ne peut pas avoir deux choses à la fois. C'est un rappel du caractère tragique de la vie, lequel consiste dans le fait que la valeur ne se concilie pas avec une autre. Il résulte de cela que tu as renoncé à tant de choses pour en avoir une seule, et il te plaît que cette loi écrase tout le monde.

La réputation qu'ils te prêtent de personne solide, dure, volontaire et ayant réussi, comporte le sous-entendu qu'ils veulent s'appuyer sur toi, s'enraciner dans ta force, la faire dévier à leur profit. En somme la détruire. Il semble qu'ils ne sachent pas que tu t'es créé ta solidité dans un seul but, qui est de ne pas les aider.