Avant de l'avoir entre les mains, je me figurais que
le Bel été, de Pavese, était un long récit fait de rocailles et de collines, sous le soleil radieux d'Italie. Ce n'est qu'après avoir reçu mon ouvrage — une superbe édition des années 1980, avec une typo aussi insolente que gracieuse — et après en avoir feuilleté les pages, que je me suis rendue compte de mon erreur :
le Bel été est en réalité un recueil de trois textes.
Le premier, qui donne son titre à l'ouvrage, est un récit de jeunesse : celle de Ginia, 16 ans, qui vit seule avec son frère et travaille dans un atelier de couture, et Amelia, de quelques années son aînée, qui vit entre deux ateliers de peintre et un café... Les peintres, ce sont Guido et Rodrigues, autour desquelles gravitent les deux jeunes filles. Tous les quatre forment un même tableau fait de multiples clairs-obscurs tant les facettes de chacune de leurs personnalités s'accordent ou se défont au fil des jours. Tous se livrent à un étrange chassé-croisé — entretissé de désirs contraires ou inavoués, de silences ou de murmures.
C'est avec un immense regret que j'ai tourné la dernière page du Bel été, mais j'ai peut-être eu encore plus de mal à quitter le Diable sur les collines ! le narrateur, dont on ignore le prénom (est-ce Cesare ?) évoque son quotidien — ou devrais-je dire ses nuits — aux côtés de Pieretto et Oreste, étudiants comme lui. Leurs nuits sont faites d'errances et de paroles sans fin, à travers les rues de Turin. Un soir, ils décident de se rendre sur une colline avoisinante et font une étrange rencontre qui va — bien qu'ils l'ignorent encore — bouleverser leurs vies : celle de Poli. S'ensuit un court épisode (que je ne vais pas vous raconter ici, par respect pour l'intrigue) qui se solde par le départ du nouveau venu.
Le narrateur relate ensuite l'arrivée de l'été, au cours duquel ils se rendent tous trois à la campagne, chez les parents d'Oreste. Mais non loin de là, se trouve la colline du Greppo... qui n'est autre que la demeure de Poli.
Entre femmes seules est quant à lui le récit que Clélia fait de son retour à Turin, après avoir passé des années à Rome dans une maison de couture. Elle y est envoyée pour ouvrir un nouveau magasin et loge à l'hôtel. le soir de son arrivée, elle est témoin d'une scène de grande agitation, qui a lieu sur le même palier : dans une chambre voisine, la jeune Rosetta a essayé d'attenter à ses jours. Ce n'est qu'après avoir fait connaissance avec tout un groupe de la société turinoise qu'elle finit par se lier avec l'impétueuse Momina, l'amie intime de Rosetta. Entre désir d'indépendance exacerbé et désespérance farouche, les trois femmes s'interrogent à coeur ouvert, quitte à remuer certaines plaies. Mais parfois même l'amitié la plus solide ne suffit pas à combler la solitude — impérieuse et inflexible — qui s'empare de l'âme de certaines femmes.
La prose de
Cesare Pavese est donc à la mesure de ses promesses et regorge de surprises. Dans chacun de ces récits, il prend le temps de monter décors et intrigues afin que ses personnages prennent peu à peu vie sous nos yeux. L'ensemble du recueil est un monde de passions — terrible — suscitant chez le lecteur un amour féroce et une douloureuse empathie. Les feux du soleil y enflamment corps et esprits, qui ne trouvent du repos qu'à l'ombre des collines.