Je la pris sur mon cadre et nous traversâmes Rome. Cela me faisait un effet curieux de voir les rues. Entre la prison et mon départ ce soir, cela me semblait une nouvelle ville, la plus belle du monde, où les gens ne comprennent pas qu'ils sont satisfaits. Comme quand on pense qu'on a été enfant et qu'on dit : « Si j'avais su. Je pouvais jouer. » Mais si quelqu'un vous disait : « Tu peux jouer », vous ne sauriez même pas comment on commence. J'étais déjà un autre, détaché et content. Je regardais les auberges, les arbres noirs, les palais, les vieilles pierres et les nouvelles – et je comprenais qu'un soleil comme ça, on ne le voit pas deux fois. Que de fruits on vendait à Rome ! Les verts, les rouges, les jaunes sur les éventaires, c'était comme les couleurs du soleil. Il me vint à l'esprit qu'à Turin je mangerais des fruits et que je sentirais ainsi la saveur de Rome.
Je la regardais et je riais. Ce que j'aimais à Rome, c'était justement cette façon de perdre son temps qu'on sent jusque dans l'air. Si je buvais un verre, ce n'était plus comme à Turin : je ne buvais plus par rage et pour me faire du mal. Je sentais que tout, les gens, les maisons, le vin clair, tout entrait en moi pour me refaire. Je savais que je vivais là et que je travaillerais, que j'avais derrière moi une longue route et les montagnes. Tous les jours, j'avais l'impression que je venais de descendre du camion et que, si je le voulais, le monde entier était une route comme celle qui conduisait à Rome. Si ma rage de Turin revenait, je serrais le poing, je levais les yeux, je bougeais et je pensais que Pablo était à Rome. C'était suffisant. Cette fois, je n'étais plus le même.