Citations sur Et le désert disparaîtra (66)
J’ai un souvenir très net du choc ressenti lorsque j’ai déchiffré mon premier mot. TA-BLE. À l’instant précis où je l’ai lu en bégayant, une table a jailli dans ma tête. Cette table existait, et en même temps, n’existait pas.
Je croyais connaître le désert mais j’en découvre la complexité. Il est ocre, rouge, orangé, pâlot ou profond, il est illuminé par le soleil et terni par la nuit, il est bas, haut, plat, il est sablonneux ou couvert de caillasses, ses plis se resserrent pour former d’énormes collines, il se déchire, s’ouvre en deux, et de longues crevasses le nervurent avant de se refermer comme des plaies.
J’écoute le silence. Je n’y suis pas habituée. Au campement, le son est partout. Les tentes occultent la vue, mais laissent passer le reste : les disputes, les éclats de voix, les rires, les caresses, les respirations lourdes et les ronflements, les discussions à voix basse. L’intimité transpire à travers le tissu.
Et il a ouvert le livre.
C’était bourré de lettres, les mêmes qu’il m’avait appris à déchiffrer, mais ici, elles étaient minuscules et il y en avait beaucoup. On s’est mis à lire. C’était ardu.
Pourtant, petit à petit, des mots sont nés. Je ne les comprenais pas tous, loin de là, mais j’aimais leur musique. Certains étaient longs et touffus, d’autres secs, ronds, creux, doux ou élancés. Et même si aucune image n’apparaissait dans ma tête quand je les prononçais, j’essayais d’imaginer ce qu’ils pouvaient être, rien qu’à leur sonorité.
Ma cheville est énorme. On dirait que je suis enceinte et que je vais accoucher du pied. Cette pensée idiote me fait rire. Je ne vais pas rire beaucoup, coincée ici. J’ai intérêt à me faire rire toute seule.
Mort, un arbre ne vaut rien. Vivant, il est la vie.
Les nuages glissent dans le ciel. Brusquement, je les regarde mieux et j'y vois des choses : des visages monstrueux avec des cornes et plusieurs oreilles, des nez, des mentons pointus, des jambes arquées, une bête munie d'un cou qui n'en finit pas, un bâton enflammé, un vieux qui boude, une main à sept doigts, une Tewida avec moins de pattes, un arbre, une femme qui danse, , un bébé au corps ramassé avec une énorme tête.
Pourquoi les nuages ne me rendent ils pas visite plus souvent ? Ils sont si drôles !
Je croyais connaître le désert mais il a mille visages. J'en découvre la complexité. Il est ocre, rouge, orangé, pâlot ou profond, il est illuminé par le soleil et terni par la nuit, il est bas, haut, plat, il est sablonneux ou recouvert de caillasses, ses plis se resserrent pour former d'énormes collines, il se déchire, s'ouvre en deux, et de longues crevasses le nervurent avant de se refermer comme des plaies.
Je suis le seul être vivant à faire crisser le monde et cette pensée m'étourdit.
Les arbres font vivre, Solas. Ils changent le sol, apportent l'eau. Des animaux vivent dans leur ombre, s'y nourrissent, d'autres viennent s'y reposer, s'y réfugier. Le monde est riche avec les arbres. Sans eux, il est stérile. J'ai découvert tout ça. L'Ancienne a raison. J'aimerais tellement que tu comprennes.