L'affaire Raphaël

Dans la salle du rez-de-chaussée où sont présentées les grandes fresques du Sodoma, ils se séparèrent.

L'époque de sa splendeur est révolu depuis longtemps, cependant. Deux ou trois décisions malheureuses au XVI° siècle à propos d'un choix d'ennemis, une guerre éclair, et Sienne s'installa dans le rôle de ville de province mineure. Depuis le XVII° siècle, où un bourgeois avisé eut la brillante idée d'inventer le Palio - la course de chevaux annuelle autour du Campo-, la ville a survécu surtout grâce au ressources du tourisme.

La place vers laquelle ils se dirigeaient possède une forme bizarre : elle ressemble à une coupe dont la courbe part du haut de la place et se termine en bas par une partie plate. Le côté plat est presque entièrement occupé par le palais : c'était le centre administratif à l'époque lointaine où Sienne était une importante cité dont le pouvoir rivalisa brièvement avec Florence elle-même.

Même sur le segment relativement court entre Rome et Sienne, elle conduit le voyageur à deux pas de quelques-uns des endroits les plus merveilleux du monde : Orvieto, Montefiascone, Pienza et Montepulciano; les villes des collines de l'Ombrie : Assise, Pérouse, Todi, Gubbio. Les collines où s'étagent les vignes et les pâturages de plaines pour les chèvres et les moutons s'accordent parfaitement avec les fleuves, les pentes abruptes et les dizaines de villes fortifiées souvent délaissées, perchées au sommet de leurs buttes protectrices, comme si les Médicis régnaient toujours en maîtres.

Il faut cinq heures pour parcourir le long trajet jusqu'à Sienne, même si, comme Flavia, on fait des excès de vitesse sur l'autoroute. Mais c'est aussi un beau voyage. L'autostrada, l'une des meilleures du pays et l'une des plus longues d'Europe, commence juste après Reggio de Calabre, à la pointe sud-ouest de la péninsule. Elle s'enroule autour des collines brûlées du sud, jusqu'à Naples, puis remonte, à travers les campagnes pauvres du Latium, jusqu'à Rome. Ensuite elle se dirige vers Florence, viré vers l'est, franchit les Apennins grâce à une série de tunnels gigantesques et de montées vertigineuses avant d'atteindre Bologne. Là, elle se divise en deux, une branche allant à Venise, tandis que l'autre mène à Milan.

Le tableau est apparu un beau jour, il n'a aucune histoire, jusqu'alors personne n'en a jamais parlé. Il y a quatre-vingt-quinze pour cent de risques qu'il soit faux. Mais qui le reconnaît ? Pas le musée, qui a déboursé trois millions de dollars; pas le marchand, qui risquerait d'avoir à rendre l'argent; et pas les critiques et les historiens qui se sont déjà extasiés sur sa beauté. C'est pourquoi le tableau est toujours exposé en dépit des preuves irréfutables qu'il s'agit d'un gigantesque canular.

Mais comment pouvez-vous le prouver ? demanda-t-elle. Si tout le monde a décidé que c'est un Raphaël, il sera difficile de les persuader de changer d'avis. Ce n'est qu'une question d'opinion. Si un assez grand nombre de personnes déclarent qu'il est authentique, alors il l'est.

Comme vous le dites, ils ne sont pas à l'abri d'une erreur, grosse comme eux parfois. Écrire l'histoire de l'art consiste en grande partie à débusquer les erreurs des autres et à les remplacer par les siennes propres. Tous les musées du monde regorgent de tableaux "d'après Velasquez" ou "appartenant à l'atelier du Titien" sur lesquels on s'est extasié pendant des années comme étant des chefs d'œuvre du maître.

Il aimait le pays à la façon des habitants refoulés et blafards des froids pays nordiques, séduits par l'exubérance colorée des Méditerranéens. Mais son adoration n'était ni aveugle ni béate; il connaissait bien l'Italie, verrues comprises. Le manque d'efficacité et de souplesse, l'étroitesse d'esprit, il les comprenait et les acceptait.

La copie abandonnée à Amorgos, comme sur une vingtaines d'autres îles, ainsi qu'en plusieurs endroits du nord-est de l'Italie, se révèle être un faux dès que les experts l'examinent. Néanmoins elle est de très bonne facture et, peu visible dans la pénombre de l'église, elle supporte l'examen de routine des moines et celui des rares touristes. Selon les moines, cela durait depuis plus d'un an. D'autres monastères admiraient leurs copies depuis plus longtemps encore.