L'affaire Raphaël

C'était agaçant aussi parce que l'Italienne avait- en ce domaine, à tout le moins - la fibre patriotique. Depuis des siècles, le reste du monde écumait l'Italie, la délestant de ses trésors artistiques les plus précieux. Pas un seul musée en Italie ne pouvait rivaliser avec la National Gallery de Londres ou de Washington, ou avec le Louvre. Bien des peintures ne restaient en Italie que parce qu'elles se trouvaient à même les murs, encore que, durant les années vingt, un milliardaire américain eût offert d'acheter la basilique d'Assise afin de pouvoir envoyer en Arizona les fresques de Giotto qui la décoraient. Pour les Italiens, c'était affreux de perdre un Raphaël, même s'ils n'avaient pas su auparavant qu'ils le possédaient.

La vente n'a pas été déclarée au Vatican car il se serait approprié la plus grosse partie de la somme.

Nous avons besoin de beaucoup de choses et, comme vous pouvez vous en rendre compte, la paroisse est pauvre. Nous ne recevons aucun don de visiteurs, pas un sou du diocèse et rien de la ville. Il y a environ un mois, un homme est venu dans le but d'acheter le retable.

"Je dirige un petit programme pour les drogués qui habitent dans le quartier du Campo - repas, abri, projets divers pour les faire renoncer à la drogue et les sortir de leur abrutissement."

Pourtant, au-moment où son corps perçut la fraîcheur de la nef et où ses narines humèrent un reste d'odeur d'encens, tandis que ses yeux s'habituaient peu à peu à l'obscurité, Botando éprouva la brève sensation de plaisir que lui procurait toujours même la plus modeste des chapelles de Rome. Comme dans presque toutes les petites églises,il y avait dans Santa Barbara quelque chose de triste, de négligé et pourtant de parfaitement accueillant.

C'était une église minuscule, que même Botando n'avait jamais visitée. Elle semblait abandonnée et était si petite qu'on eût dit un modèle réduit. Contrairement aux grandes basiliques de la ville, il s'agissait d'une église paroissiale. Construite probablement au XVII° siècle, elle présentait une architecture tout à fait banale, le genre d'édifice devant lequel le plus attentif des touristes serait passé sans prendre la peine d'entrer.

Et derrière, à gauche, dans une ruelle bordée d'échoppes de bouquinistes, se trouvait Santa Barbara.

Leur chemin passait par le marché du Campo dei Fiori. Il était longé à l'est par la via Giubbonari, allée toute droite, flanquée de boutiques de vêtements et de chaussures, et située derrière les ruines du théâtre de Pompée.

C'était l'un de ces matins printaniers qui transforment Rome, malgré tous ses embouteillages, son vacarme et sa saleté, en un lieu magique. Les bâtiments ocre se détachaient contre le ciel bleu limpide, les odeurs de café et de nourriture s'échappaient des bars et des restaurants; on entendait la rumeur des préparatifs , tandis que les serveurs, tout fringants dans leur tenue impeccable, disposaient les tables et les chaises sur les petites places, fixaient les nappes blanches et mettaient des fleurs dans de minuscules vases, sans cesser un instant de parler. On apercevait quelques touristes, l'air fatigué, comme toujours,et portant l'inévitable uniforme : vêtements froissés et sac-à-dos. Mais ils étaient peu nombreux; c'était trop tôt, l'invasion annuelle n'aurait lieu que dans plusieurs semaines. Pour le moment, Rome était aux Romains, et c'était paradisiaque.

Son retour à Rome avait été une des grandes joies de sa carrière, et il avait passé d'innombrables soirées à arpenter les rues et à revisiter les sites antiques qu'il adorait : ruines de l'Empire au Forum, églises médiévales à l'assurance tranquille, extravagants monuments baroques.