Citations sur Coeur de pierre (16)
- C'est quoi le plus grave ?
- Le plus grave, c'est que, quand vous faites arriver quelque chose de terrible à quelqu'un et quand vous décidez que ça tourne au drame, pour vous, c'est une simple pièce dans un grand jeu de construction.Je me trompe ?
- Tu sais, on ne peut pas non plus
" écrire" n'importe quoi.Il y a des équilibres à respecter, la nécessité d'une logique narrative...
- La vraie souffrance, vous vous en foutez, hein ?
Il n'y a que votre roman qui compte! Les gens...oui, les gens, pas les personnages...vous les utilisez.
Je crois que pour écrire il faut avoir le cœur dur...
( p.179)
Tant qu'il avait eu de l'argent, le prix des choses n'avait été que leur prolongement obscur mais, peu à peu, le prix s'était transformé en un spectre menaçant qui empêchait d'approcher des marchandises.Les objets péniblement acquis se cassaient ou s'ébréchaient.D'autres tombaient en panne.
Schulz avait alors décidé de se passer de tout, même de l'essentiel afin de ne pas s'engager dans cette pâte faite des choses et de ce qu'elles coûtent. Il portait des habits élimés.Il avait su apprécier les bonnes choses mais, sans argent, les sensations s'émoussent.
Incarnation
En chemin, j'ai repensé à ce manuscrit que j'avais sauvé des flammes.De façon très confuse, je me suis souvenu d'un reportage sur la misère, l'hiver et la solitude, lu des années plus tôt dans un quotidien du
soir.Il y était question d'un homme, mort frigorifié dans sa voiture. Pendant des jours et des jours, j'avais songé à ce malheureux au point de découvrir l'article, de le relire plusieurs fois, de le conserver.Plus tard, le personnage de Schulz était né de ce mort.
( p.171)
Avec le temps, je crois que les regrets deviennent aussi légers et rêches que de la pierre ponce. Ils sont là. Ils flottent. On ne sait trop quoi en faire.
A travers une fissure du réel, je pouvais contempler, d'un seul coup d'oeil, une foule de possibilités jamais réalisées. Mes ratages, nos échecs, comme un tapis de feuilles mortes. Aucun mot, jamais, quand bien même cherché dans la panique d'un naufrage, ne pourrait exprimer cet état.
Si Moissac avait parcouru, en diagonale comme d'habitude, les aventures de Schulz, il se serait écrié, au bout de quelques minutes: " Mais enfin Jacques, qu'est ce qui t'a pris ? C'est sinistre ! Sordide ! Où veux-tu en venir ? Tu ne vas pas jouer à l'écrivain ? Pourquoi ne pas te mettre à la poésie pendant que tu y es ? "
On la croyait d'ici: elle se sentait inexplicablement d'ailleurs.
( p.33)
D'où me venait ces bouffées de violence dont le ridicule n'était masqué que par ma solitude? Qui frappait quand je frappais? Car, à l'instant même où je me déchaînais, il y avait quelque part, dans ma tête ou dans le ciel, un inconnu très calme qui observait la scène avec une indifférence un peu lasse. Etais-je celui qui frappait ou celui qui regardait?
Ce n'était plus exactement un visage mais une tête primitive, une tête d'avant la parole et d'avant les autres, d'avant femme et enfants, d'avant travail et société. Tête des marges et des marécages.
( Gallimard,2007, p.23)
Ravissement et confusion d'un écrivain brutalement confronté au gouffre qui sépare ses petites élucubrations verbales de la richesse inépuisable de la "présence réelle".