Ecrire, c'est vouloir distinguer à travers des mots ce qu'en réalité on ne peut voir : naissance et mort, apparition et disparition fulgurantes des êtres. Perpétuité des catastrophes.
On voudrait qu'un trait d'union existe, aussi infime soit-il, entre avant et après.
Pourquoi fis-je ce geste vers l'appareil-photo posé près de moi ? Boîtier noir conçu pour tenir à distance la de ce qui se passe, boîte de conserve du souvenir.
L'habitude tranquille que l'on avait d'une présence vient de se casser net. Le voilà disparu, et il n'est même plus là pour accueillir le terrible besoin qu'on aurait de lui en parler, à lui évidemment !
Plus tard, on croit avoir entendu : "Qu'est-ce qui m'arrive ?", mais on se souvient mal de cette lueur obscure qui semblait signifier : "C'est ça ? C'est maintenant ? C'est ça !"
Mais la naissance ne s'écrit pas davantage que l'écriture n'a de naissance. Rien qu'une échappée, un passage, comme ces mots qui nous traversent et coulent sur leurs galets d'email, leurs lits de muqueuses, mais dont la source reste inaccessible, lointaine et toujours extérieure. Parfois, nous avons cru trouver les mots. Parfois, les mots se sont perdus. Jamais nous ne les auront vus jaillir
Où en est-on de ce combat complice entre ces deux corps qui tâchent de s'arracher l'un à l'autre ?
Il posa un pouce indécent sur la ligne de vie tellement courte : la mort, c'est cette esquisse de main dans la mienne, la mort, c'est cette main qui ne serre pas, ne frémit pas, ne s'ouvre pas en corolle, fleur vidée, épuisée, main négative.
Ils existent, ces très minces instants où l'on peut indifféremment basculer dans un rôle ou dans le rôle exactement contraire, à partir de la même quantité d'émotions, de la même déroute.
Séparé de celle qui accouchait, il dut, pour supporter la suite, se séparer aussi de lui-même, se durcir encore, devenir pierre, vraiment.