Naissances

« Il n'y a encore personne et brutalement le petit sera là. (...) Personne, puis brutalement celui qu'on a l'impression d'avoir toujours connu. »

(Cette phrase a vraiment résonné en moi : elle décrit exactement ce que j'ai ressenti à la naissance de mon premier enfant : LA reconnaissance de celui qui est là, les yeux à la fois étonnés et grands ouverts sur sa vie à venir. Un petit être divin, mais qui est exactement lui : celui que l'on attendait.).

« Un cheval invisible galope dans le gris de l'aube. C'est le cœur battant, c'est le cœur emballé de l'enfant inconnu qui arrive sur moi à cette vitesse de cavalier fou. D'où vient-il ? Enregistré par des palpeurs disposés sur le ventre de celle qui accouche, ce cœur cogne et rebondit entre les parois de la salle de travail. L'enfant arrive. Je ne vois toujours rien. Ma femme subit depuis le matin une alternance de douleurs et de répits. Je suis tendu, attentif, mais je ne distingue toujours rien. »

Le rôle impliquait que sa peine, à lui, il s'en occupât plus tard : il y avait plus urgent. Ce rôle viril était si clair, si simpliste, qu'il s'y laissa tomber lourdement, là, dans la petite infirmerie, devant les sages-femmes et le docteur, il se laissa couler derrière cette façade de la mâle maîtrise de soi et parvint à se retirer loin, très loin, derrière ses propres yeux, loin, très loin au bout du couloir de ses sens, toute sa tristesse gâchée comme du plâtre.

Plus tard, au cours de sa vie, il lui faudrait plus d'une fois la franchir, cette ligne, pour quelques heures ou quelques jours, dans un confusion vie-mort ou folie-solitude dont l'entourage ne devinerait jamais l'intensité. Plus tard, il saurait que le plus important de ce qui s'écrit, s'écrit toujours derrière la ligne.