C'est fatigant, de marcher, de jouer, de faire semblant de sourire, y compris quand on n'en a pas envie.
On s’adresse comment à celle qui n’a pas répondu depuis douze jours, et qui est allée à sa dernière épreuve après avoir passé la nuit au commissariat, des heures à subir l’interrogatoire des flics et puis l’examen d’un médecin? On fait semblant qu’il ne s’est rien passé, ou on arrive à la regarder dans les yeux? On avale ses propres questionnements pour écouter sa douleur?
Mais les rêves ont la sale habitude de poser un vernis harmonieux sur chaque instant. Et là, il y a eu un coup de râpe, de lime.
Pourquoi c’est forcément nous les coupables ?Je n’en sais rien, mais je n’arrive pas à m’ôter cette idée de la tête. Depuis qu’on est petits, on nous martèle des clichés. Les filles doivent se méfier, faire attention à la manière dont elles s’habillent, dont elles parlent aux mecs, ils peuvent être dangereux… Leur désir n’est pas plus important que le nôtre, merde !… J’ai beaux essayer, je n’arrive pas à m’en défaire, de ces machins enfouis dans mon crâne. Pourquoi je n’ai pas essayé de me débattre davantage ? Est-ce que j’aurais pu éviter que ça arrive ? Mais merde, j’avais peur qu’ils me tuent, qu’ils sortent un couteau, alors j’ai crié au début et puis après…
Non mais tu ne comprends pas que tant que tu n’en parles pas, elles restent entre nous, tes histoires ? Elles sont là, comme des fantômes, à errer dans le vide. Il faut que tu te lâches, Cassandra. Il le faut. Tu dois parler, ça aide.
-On ne fait pas la manche, on est artistes de rue, nuance.
On crame.
Sète est bourrée de monde.
Et moche.
Quand je pense aux jolis petits villages d'Ardèche, je déprime.
Ici, les immeubles sont d'un blanc virant au gris, les bagnoles à touche-touche. Et les gens ont beau être en vacances pour la plupart, ils semblent énervés.
Je ne sais pas pourquoi, mais dans notre famille, on évite les sujets qui comptent vraiment. On est capables de parler des études, on est capables de se passer le sel pendant les repas. Mais les blessures intimes, personne ne les aborde. A croire qu'elles n'existent pas.
Pourquoi personne ne dit la douleur, la stupéfaction, pourquoi personne ne parle de la violence qu'elle a subie ? Qu'est-ce que c'est que ce monde où on met en cause la victime au lieu de l'aider ?
Le jour où elle comprendra qu’elle n’y est pour rien, et que sa valeur est la même, alors elle ira mieux.