Notre guerre civile

Vous savez, on a appelé la Guyane "la guillotine sèche". Cette guillotine sèche s'appliquait à des femmes qui n'étaient pas coupables, mais simplement misérables. (Odile Krakovitch)

Louise Michel est dans la cage tribord arrière. Dans celle d'à côté, le journaliste et ancien député Henri Rochefort qui lui fait passer discrètement quelques strophes, alors qu'il est expressément interdit aux déportés de se parler. La poésie reprend son œuvre subversive.

Je cherchais à comprendre son lien au poète [Victor Hugo], et j'y cherchais probablement le mien avec lui. Il y avait encore au XX ème siècle des gamines portées à tout sublimer qui se rêvaient poètes et se réfugiaient dans ses vers "comme dans un autre monde"pour reprendre le mots de Louise Michel. J'étais de celles-là.

Qu'on le veuille ou non, je crois que les hommes finiront par voir clair, et qu'ils se diront un jour : "Nous avons tort de rester malheureux quand il serait si facile d'être heureux." Il y aura dans l'humanité autant besoin de sympathie qu'il y a eu besoin de haine. (Louise Michel)

Nous ne voulons plus du mariage qui comme par le passé nous assujettit à l'homme, nous voulons le mariage libre, il ne faut plus que l'homme soit le propriétaire de la femme, ni qu'il s'en serve comme d'une poupée. (Louise Michel)

En 1878, l'accaparement des terres s'accélère avec la découverte de minerais de nickel. Une révolte concertée des tribus kanakes est lancée contre les Européens. Les grandes propriétés sont attaquées, des gendarmes tués. Le site minier doit être évacué. La répression reprend vite le dessus, les communards déportés sont mis à contribution, ils n'ont aucun problème à prendre les armes. Mais pas Louise Michel. Elle n'a jamais voulu combattre les Kanaks.

On donne l'impression que le peuple se révolte par instinct, de manière extrêmement spontanée, par réaction, mais jamais porté par des idées. Alors que les idées sont là.

La presse de Versailles accusa les pyromanes, "pétroleurs" et "pétroleuses", puis subitement, très vite, le masculin a disparu, le mot s'est figé au féminin. Il permettait de ramasser en trois syllabes toutes ces femmes de la révolution, de les ramener à des pulsions destructrices et échevelées, d'en faire des viragos, des mégères, de les dépolitiser, car les femmes ne pensent pas.

Fouiller, la suite, l'enceinte fortifiée de ses prochaines années, c'est naviguer entre les archives carcérales et les mémoires de Louise Michel, osciller entre la sécheresse administrative et l'élan poétique, entre deux logiques opposées, la première veut broyer le révolutionnaire, la seconde le faire vivre dans l'éternité. Aucune ne s'embarrasse de la réalité.

Il est trop tard pour arrêter la rumeur, elle a enflé avec le temps jusqu'à leur prêter un enfant caché. C'en est désormais plus qu'affaire d'opinion, même la biographe de Louise Michel, Xaviere Gauthier, qui dit ne pas y avoir cru pendant longtemps, s'est mise à douter, tant Hugo est connu pour avoir harcelé la gent féminine, alors pourquoi pas Louise ? Mais pourquoi cela figure-t-il en première place sur la plaque commémorant sa vie dans la station de métro qui porte son nom ? Pourquoi la rétrécir à son utérus, la ramener à la maternité qu'elle ne voulait pas, dans l'ombre d'un homme alors qu'elle n'en a épousé aucun, si ce n'est pour mieux diluer ce qu'elle était, une révolutionnaire ? C'était ça l'affaire de sa vie. Sa foi, son legs qu'on étouffe sous l'hommage.