Citations sur Oiseaux (12)
I
L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche.
Au fléau de son aile l’immense libration d’une double saison ; et sous la courbe du vol, la courbure même de la terre… L’alternance est sa loi, l’ambiguïté son règne. Dans l’espace et le temps qu’il couvre d’un même vol, son hérésie est celle d’une seule estivation. C’est le scandale aussi du peintre et du poète, assembleurs de saisons aux plus hauts lieux d’intersection.
Ascétisme du vol !... L’oiseau, de tous nos commensaux le plus avide d’être, est celui-là qui, pour nourrir sa passion, porte secrète en lui la plus haute fièvre du sang. Sa grâce est dans la combustion. Rien là de symbolique : simple fait biologique. Et si légère pour nous est la matière oiseau, qu’elle semble, à contre-feu du jour, portée jusqu’à l’incandescence. Un homme en mer, flairant midi, lève la tête à cet esclandre : une mouette blanche ouverte sur le ciel, comme une
main de femme contre la flamme d’une lampe, élève dans le jour la rose transparence d’une blancheur d’hostie…
Aile falquée du songe, vous nous retrouverez ce soir sur d’autres rives !
Oiseaux de Braque, et de nul autre… Inallusifs et purs de toute mémoire, ils suivent leur destin propre, plus ombrageux que nulle montée de cygnes noirs à l’horizon des mers australes.
De tous les animaux qui n'ont cessé d'habiter l'homme comme une arche vivante, l'oiseau, à très longs cris, par son incitation au vol, fut seul à doter l'homme d'une audace nouvelle.
L'oiseau, de tous les consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin.
Oiseaux
V
Extrait 2
L’homme a rejoint l’innocence de la bête, et l’oiseau peint dans l’œil du chasseur devient le chasseur même dans l’œil de la bête, comme il advient dans l’art des Eskimos. Bêtes et chasseurs passent ensemble le gué d’une quatrième dimension. De la difficulté d’être à l’aisance d’aimer vont enfin, du même pas, deux êtres vrais, appariés.
Nous voilà loin de la décoration. C’est la connaissance poursuivie comme une recherche d’âme et la nature enfin rejointe par l’esprit, après qu’elle lui a tout cédé. Une émouvante et longue méditation a retrouvé là l’immensité d’espace et d’heure où s’allonge l’oiseau nu, dans sa forme elliptique comme celle des cellules rouges de son sang.
Oiseaux
II
Les vieux naturalistes français, dans leur langue très sûre et très révérencieuse, après avoir fait droit aux attributs de l’aile – « hampe », « barbes », « étendard » de la plume ; « rémiges » et « rectrices » des grandes pennes motrices ; et toutes « mailles » et « macules » de la livrée d’adulte – s’attachaient de plus près au corps même, « territoire » de l’oiseau, comme à une parcelle infime du territoire terrestre. Dans sa double allégeance, aérienne et terrestre, l’oiseau nous était ainsi présenté pour ce qu’il est : un satellite intime de notre orbite planétaire.
On étudiait, dans son volume et dans sa masse, toute cette architecture légère faite pour l’essor et la durée du vol : cet allongement sternal en forme de navette, cette chambre forte d’un cœur accessible au seul flux artériel, et tout l’encagement de cette force secrète, gréée des muscles les plus fins. On admirait ce vase ailé en forme d’urne pour tout ce qui se consume là d’ardent et de subtil ; et, pour hâter la combustion, tout ce système interstitiel d’une « pneumatique » de l’oiseau doublant l’arbre sanguin jusqu’aux vertèbres et phalanges.
L’oiseau, sur ses os creux et sur ses « sacs aériens », porté, plus légèrement que chaume, à l’excellence du vol, défiait toutes notions acquises en aérodynamique. L’étudiant, ou l’enfant trop curieux, qui avait une fois disséqué un oiseau, gardait longtemps mémoire de sa conformation nautique : de son aisance en tout à mimer le navire, avec sa cage thoracique en forme de carène et l’assemblage des couples sur la quille, la masse osseuse du château de proue, l’étrave ou rostre du bréchet, la ceinture scapulaire où s’engage la rame de l’aile, et la ceinture pelvienne où s’instaure la poupe…
Le poète existait dans l'homme des cavernes, il existera dans l'homme des âges atomiques: parce qu'il est part irréductible de l'homme.
Oiseaux
V
Extrait 1
Pour l’oiseau schématique à son point de départ, quel privilège déjà, sur la page du ciel, d’être à soi-même l’arc et la flèche du vol ! le thème et le propos ! … À l’autre bout de cette évolution, sous son revêtement suprême, c’est un comble secret où s’intègre l’essentiel de tout un long report. Beauté alors de ce mot de « faciès », utilisé en géologie pour recouvrir historiquement, dans leur ensemble évolutif, tous les éléments constitutifs d’une même matière en formation.
Dans cette concision d’une fin qui rejoint son principe, l’oiseau de Braque demeure pour lui chargé d’histoire. De tout ce qu’élude, sciemment ou non, l’œil électif du peintre, la connaissance intime lui demeure. Une longue soumission au fait l’aura gardé de l’arbitraire, sans le soustraire au nimbe du
surnaturel.
…
Oiseaux
IV
Extrait 3
L’oiseau hors de sa migration, précipité sur la planche du peintre, a commencé de vivre le cycle de ses mutations. Il habite la métamorphose. Suite sérielle et dialectique. C’est une succession d’épreuves et d’états, en voie toujours de progression vers une confession plénière, d’où monte enfin, dans la clarté, la nudité d’une évidence et le mystère d’une identité : unité recouvrée sous la diversité.
Oiseaux
IV
Extrait 2
La fulguration du peintre, ravisseur et ravi, n’est pas moins verticale à son premier assaut, avant qu’il n’établisse, de plain-pied, et comme latéralement, ou mieux circulairement, son insistante et longue sollicitation. Vivre en intelligence avec son hôte devient alors sa chance et sa rétribution. Conjuration du peintre et de l’oiseau…