Ermites dans la taïga

Les vieux-croyants les plus récalcitrants furent jetés dans des oubliettes, on leur coupa la langue, on les brûa vifs dans des constructions de bois. L'ombre froide du schisme traversa même la famille du tsar dont l'épouse Marie puis la soeur Irène plaidèrent plus d'une fois la cause des meneurs vieux-croyants réduits à la disgrâce.
Pourquoi ce déchaînement de passions? En apparence, pour des broutilles. Dans sa volonté de renforcer la foi orthodoxe et l'Etat, le tsar Alexis et le patriarche Nikon avaient envisagé et mis en oeuvre une réforme de l'église (1653) qui reposait sur le collationnement et la correction de textes religieux. Traduits du grec à l'époque où le prince Vladimir christianisait la Russie païenne (988), ces textes avaient été dénaturés à force d'être copiés. Les traducteurs avaient compris certaines choses de travers et les copistes bâclé leur travail, des contresens avaient surgi... En six siècles et demi une foule d'inexactitudes et d'incohérences s'étaient accumulée. Aussi fut-il décidé de se tourner vers le texte source et de tout corriger.
Et ça commença! Car les incohérences étaient entrées dans es habitudes. Les corrections choquaient l'oreille et semblaient miner la foi.

La protestation se cristallisa particulièrement sur des divergences qui, vues d'aujourd'hui, apparaissent dérisoires. Nikon affirmait que les processions d'Eglise devaient se faire non plus dans le sens du soleil mais à l'envers; qu'il fallait doubler ou tripler l'alléluia; qu'une prosternation se faisait non pas à terre, mais à hauteur de la ceinture; qu'il convenait de se signer comme les Grecs, avec trois doigts et non deux. Il ne s'agissait donc pas de foi mais de rites liturgiques somme toute infimes. La ferveur religieuse et l'attachement aux dogmes, toutefois, ne connaissent pas de frontière s'ébranla.

D'autres éléments tendaient-ils à accentuer le fanatisme de l'opposion ? Oui. La réforme de Nikon coïncidait avec la généralisation du servage. Aussi ces innovations furent-elles associées par les consciences à une perte des dernières libertés du peuple et du "saint passé". La Russie des boyards redoutait à l'époque les nouveautés venant de l'Europe auxquelles le tasr Alexis ne barrait guère la route, voyant son pays se prendre les pieds dans le cafetan oriental. Les gens d'Eglise non plus ne virent pas le "nikonisme" d'un bon oeil, sentant la main ferme du tsar qui cherchait à les assujétir à sa volonté.Bref, beaucoup étaient contre le "signe" de croix à trois doigts. Et le trouble raskol commença."p.47/48

Le savant régionaliste m’a répondu qu’il avait eu connaissance de la « trouvaille » des géologues dans une note de service et qu’il était parvenu, l’été passé, à pénétrer dans ce coin reculé de la taïga. « Je suis entré dans leur masure. Je leur ai parlé comme je vous parle. Mon impression ? Un mélange de préhistoire et de Russie d’avant Pierre le Grand ! Ils font du feu au silex… Ils s’éclairent avec des mèches de bois… Nu-pieds l’été, chaussés d’écorces de bouleau l’hiver. Pas de sel, pas de pain. Ils n’ont rien perdu de la langue, mais on a du mal à comprendre les cadets…

"Ça nous est défendu"

 Il était naturel d’envisager qu'Agafia, une fois seule, ferait son nid au bord du « siècle ». Erreur. Après un séjour chez les cousins (coreligionnaires !), elle a constaté des manquements à la foi et des mésententes. Après un séjour chez les religieuses de l’Ienisseï, elle a prononcé le verdict : « Elles n’ont de souci que pour le corps éphémère, mais pas une pensée pour le salut de l’âme. » Et de rentrer dans son ermitage. 

Le décompte du temps par les dates, les semaines, les mois et les années constituait pourtant, pour les Lykov, une tâche majeure et vitale. Se perdre dans le temps, et ils en étaient conscients, c’était détruire l’organisation de la vie avec ses fêtes, ses prières, ses jeûnes, ses jours gras, l’anniversaire des saints, le calcul des années vécues.

Trente-trois fois durant l’hiver, laissant son père, Agafia a fait l’aller et retour. En les enveloppant de linge pour les protéger du gel, elle a transporté quarante seaux de pommes de terre pour les semences, trois sacs de pain séché plus la farine, le gruau, les graines de cèdre, la vaisselle, les bougies, les livres, les vêtements et les couvertures.

La protestation se cristallisa particulièrement sur des divergences qui, vues d'aujourd'hui, apparaissent dérisoires. Nikon affirmait que les processions d'Eglise devaient se faire non plus dans le sens du soleil mais à l'envers; qu'il fallait doubler ou tripler l'alléluia; qu'une prosternation se faisait non pas à terre, mais à hauteur de la ceinture; qu'il convenait de se signer comme les Grecs, avec trois doigts et non deux. Il ne s'agissait donc pas de foi mais de rites liturgiques somme toute infimes. [...]
D'autres éléments tendaient-ils à accentuer le fanatisme de l'opposition ? Oui. La réforme de Nikon coïncidait avec la généralisation du servage. Aussi ces innovations furent-elles associées par les consciences à une perte des dernières libertés du peuple et du "saint passé". La Russie des boyards redoutait à l'époque les nouveautés venant de l'Europe auxquelles le tsar Alexis ne barrait guère la route, voyant son pays se prendre les pieds dans le cafetan oriental. Les gens d'Eglise non plus ne virent pas le "nikonisme" d'un bon oeil, sentant la main ferme du tsar qui cherchait à les assujetir à sa volonté. Bref, beaucoup étaient contre le "signe" de croix à trois doigts. Et le trouble raskol commença."

vivre dans le monde est impur,vivre dans le monde nous est interdit.

J'avais entendu parler d'un des principaux thèmes du livre : les vieux croyants, mais je ne me doutais pas des questions qui périclitent autour de ce récit. Le terme « vieux croyant » désigne un ensemble ds petits groupes séparés de l'église orthodoxe russe lors de schismes, s'opposant aux réformes proposées en 1667 par un patriarche russe du nom de Nikon. Ils furent persécutés par la politique anti ecclésiastique de l'Union Soviétique, on recense d'un million d'entre eux principalement en Russie: certains exilés bénéficient d'un programme rapatriement en 2011.
Vassili Peskov , un journaliste russe, raconte la vie d'un couple de vieux croyants, les Lykov, qui choisirent de s'isoler dans la taïga en 1938 pour échapper aux massacres. Par cet auteur, on découvre la vie d'un vieil homme et ses enfants tous nés dans cet univers hostile, rigoureux et dangereux. On reste bouche bée devant leur vie rudimentaire dans une cabane de bois, aujourd'hui reconstituée au musée de Krasnoïarsk. Enfin, les questionnements de la dernière survivante, Agafia, visitant à plusieurs reprise la civilisation sibérienne, nous interroge nous même sur notre vie menée dans notre monde moderne .
Le récit s'inscrit dans une chronologie et une impartialité méticuleuse : on apprend quels sont leurs outils, leurs moyens de subsistance mais aussi l'organisation de cette famille, microsociété théocratique, me faisant lointainement penser aux Amish ou aux Mennonites des États Unis .On s'attache à ces personnes, à leur devenir, par ses mots et ses expressions et leur humble appréhension des drames de l'existence : « Mais la mort pour Agafia, ce n'est pas la même chose que pour la plupart d'entre nous. Ce n'est qu'une frontière vers un autre royaume. "Et si tu rencontres un ours et qu'il te déchiquette, de quelle résurrection peux-tu parler?" Mais cette éventualité n'alarme point Agafia. "Ah! Vassili Mikhaïlovitch, tout se recoudra là-haut." »

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