23h30, je descends ma visée vers le sud et me noie dans la contemplation de la Voie lactée.
Ça y est,
j'y suis,
chaque millimètre du ciel se déploie,
chaque éclat cache un éclat,
l’œil semble allumer les étoiles,
rien n'arrête mon regard,
je plonge dans l'immensité de l'espace et du temps,
je vois des lumières vieilles de millions d'années,
des rayonnements qui datent d'avant la création du monde,
certaines lumières ont commencé leur voyage lorsque les océans se sont formés,
d'autres le jour de la mort du dernier dinosaure,
d'autres le jour de ma propre naissance,
les lumières racontent l'histoire de l'Univers,
j'oublie tout le reste,
enfin.
Le ciel, tout là-haut, m'attend, magnifique, scintillant, il lutte à armes inégales contre les lueurs de la ville. Là où je vais, le ciel gagnera le bras de fer, il étincellera pour moi seul.
J'ai parlé pourtant ; ma mère et moi avons déversé des mots et des mots jusqu'à combler le moindre silence, jusqu'à interdire la moindre hésitation.
Je découvre que parfois on peut parler pour se taire.
Certains jours, je laisse les cours glisser sur moi. Ce n'est pas par manque d’intérêt ou par paresse, c'est juste qu'il est impossible de s'intéresser à l'hypoténuse d'un triangle rectangle.
Dehors, la ville vit sa vie de ville. Trépidante. Les gens gardent les yeux rivés au sol, ils ont oublié qu'un ciel s'étend au dessus des toits, que l'espace est infini comme les questions.
Je pars déverser celles qui m'encombrent.
Là-haut, loin des guerres que se livrent les couples lorsqu'ils ne savent plus retrouver l'amour, les étoiles pulsent, vibrent, tremblent et vivent leur vie d'étoile, indifférentes aux cris qui nous déchirent le coeur.
J'ai froid, mes yeux pleurent, alors j'en profite, je laisse couler les larmes.
On ne pleure plus à mon âge.
Ma mère pose une main sur mon épaule, je la laisse faire, j'ai de nouveau envie de m'excuser pour les soucis, pour le temps que je lui fais perdre, pour l'argent des billets, pour les heures gâchées. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle souffle un petit Chut. Embarrassée par ses propres gestes, elle ôte sa main et se tait. Le bruit du train parle à notre place.
PERDUE :
la conviction d'être seul dans l'Univers
C'est comme si la rue n'allait jamais se calmer. Le défilé des gens me fait penser à celui des gouttes d'eau sur la vitre des trains. Il pleut des humains dans cette ville : une averse continue, drue, sans éclaircie.