Un jour, (alors que j'avais finalement renoncé) - c'était le 8 mars 1914 - je me suis approché d'une haute commode et, saisissant une poignée de papiers, j'ai commencé à écrire debout, comme je le fais chaque fois que je peux. Et j'ai écrit une trentaine de poèmes successivement, dans une sorte d'extase dont je ne saurais définir la nature. Ce fut le jour triomphal de ma vie et jamais je n'en connaîtrai nul autre pareil. J'avais commencé avec un titre, "Le gardeur de troupeaux". Et ce qui a suivi fut l'apparition de quelqu'un en moi, que j'ai directement appelé Alberto Caeiro. Pardonnez-moi cette absurdité : en moi était apparu mon maître. C'est la sensation immédiate que j'ai éprouvée.
C'est l'imagination qui m'a formé.
Pour voyager, elle m'a toujours pris la main.
J'ai toujours aimé, détesté, parlé, pensé, grâce à elle.
J'ai mal à la tête et à l'univers.
J'aimerais aimer aimer
On a planté sur ma bouche les baisers de tous les rendez-vous,
Agité, dans mon coeur, les mouchoirs de tous les adieux...
Une chose m'émerveille plus que la stupidité de la plupart des hommes à vivre leurs vies : c'est l'intelligence qu'il y a dans cette stupidité.
La littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas.
O mer salée, que de sel en toi
Sont larmes du Portugal !
Qu'il est dur d'être soi-même et de ne voir que le visible!
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
A part cela, je porte en moi tous les rêves du monde.
Nous sommes trop nombreux quand nous cherchons qui nous sommes.
Dieu n'a pas d'unité. Comment, moi, en aurais-je une?
Je suis contre tout ce qui ressemble à une coterie ou à une secte.
Le mythe est le rien qui est tout.
J'ai pour la vie l'intérêt d'un déchiffreur de charade.
J'ai pris conscience, en un éclair, que je n'étais personne.